La version française de cet article a fait l’objet d’une mise à jour.

Brené Brown, lors de la populaire émission Super Soul Sunday d’Oprah Winfrey, déclarait il y a quelques années : « Je pense que la honte est mortelle, je pense que la honte est destructrice. Et je pense que nous nageons en plein dedans. » Son TED talk « Listening to Shame » a été visionné plus de 18 millions de fois. Elle y explique que la honte est comme une sorte de petit monstre qui se moque de nous et nous fait passer en boucle ces deux refrains dans la tête : « Jamais assez bien » ou « Pour qui te prends-tu ? »

Cette métaphore présente la honte comme un piège à répétition : les expériences récurrentes de honte détruisent notre estime de soi, et une faible estime de soi nous prédispose à éprouver de la honte. Ce cercle vicieux finit par échapper à tout contrôle, entraînant des comportements addictifs et destructeurs. Pour Brown, la honte est une émotion pernicieuse qui ne sert à rien de constructif ; nous devons donc renoncer à l’utiliser et développer une résistance à toutes les formes de honte.

Le désir d’éliminer la honte de notre expérience quotidienne peut paraître sensé, mais cela paralyse notre capacité à agir en personnes douées de moralité. Les émotions morales sont étroitement liées les unes aux autres ; elles n’existent pas de manière fragmentaire. C’est pourquoi, comme l’écrit Krista Thomason, « nous ne pouvons pas nous débarrasser d’une émotion [telle que la honte] sans “défigurer” le reste. »

En outre, l’élimination de la honte favorise surtout une forme de sans-gêne. Comme l’écrivait Daniel Henninger en 2017 dans le Wall Street Journal peu après les accusations contre Harvey Weinstein, Charlie Rose et Al Franken, « leurs actes révèlent un effondrement de la retenue. Cet effondrement à son tour suggère une évaporation plus large de la conscience, du sentiment que faire quelque chose est mal.... Aussi, lorsqu’on se demande comment ces hommes peuvent se comporter de manière aussi grossière et monstrueuse, une réponse est qu’ils… n’ont… aucune… honte. »

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Henninger met en garde contre l’illusion de penser que ces hommes seraient des exceptions ou des anomalies. Ils sont plutôt le produit d’une « culture qui a éliminé la honte et les barrières comportementales ». L’Écriture affirme également la nécessité de la honte et s’élève contre l’absence de toute gêne. Les prophètes fustigent Israël pour son engourdissement spirituel et son incapacité à rougir de sa conduite détestable (Jr 3.3 ; 6.15 ; So 3.5). De même, Paul reproche aux Corinthiens leur apathie morale et leur incapacité à s’affliger de leur péché (1 Co 5.2 ; 15.34).

Certes, la honte peut être toxique, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Nous devons faire la distinction entre une honte mondaine et une honte selon Dieu. La honte selon Dieu marque nos consciences de valeurs calibrées sur ce qui plaît à Dieu plutôt que ce qui plaît au monde. La honte selon Dieu se rapporte fondamentalement au bien et au mal du point de vue de Dieu ; elle est liée à la beauté et à la sainteté de Dieu. La honte ainsi conçue guide nos choix futurs, nous empêchant de faire quoi que ce soit qui puisse déshonorer Dieu, l’Église, les autres et nous-mêmes.

Elle nous rappelle notre responsabilité d’accueillir les croyants comme des frères et des sœurs, indépendamment de leur situation socio-économique, de leur origine ou de leur ethnie, car les murs qui nous séparent ont été détruits par le sang de Jésus-Christ (Ep 2.14 ; Ph 16). Elle nous incite à respecter la dignité de toutes les personnes, car nous sommes tous créés à l’image de Dieu (Ge 1.26-27).

La honte selon Dieu jauge également nos pensées, nos actions et inactions passées selon un esprit qui ne se conforme pas au monde, mais se laisse transformer par l’Évangile (Rm 12.1-2). Elle réprime notre égocentrisme et notre indifférence à l’égard des persécutions et des souffrances endurées par d’autres, car lorsque l’une d’entre elles souffre, toutes les parties du corps du Christ souffrent (1 Co 12.26). La honte selon Dieu réprouve notre hésitation à nous joindre aux lamentations de ceux qui souffrent de l’injustice raciale, nous appelant à « pleurer avec ceux qui pleurent » (Rm 12.15). Elle repousse notre facilité à humilier les autres en ligne lorsque nos tweets cinglants sont mis au service de l’étalage de notre « vertu » au lieu de viser le bien véritable des autres.

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Les réprimandes de la honte selon Dieu sont troublantes et douloureuses ; néanmoins, cette honte produit le fruit de la justice pour ceux qui se soumettent à sa discipline (He 12.11). Les réprimandes de la honte selon Dieu sapent l’estime de soi mal placée au profit de la maturité chrétienne.

La honte selon le monde détruit, mais la honte selon Dieu restaure. La honte selon Dieu montre que nous avons attristé le Saint-Esprit, mais elle nous assure aussi de sa grâce.

La honte selon le monde détruit, mais la honte selon Dieu restaure. La honte selon Dieu montre que nous avons attristé le Saint-Esprit, mais elle nous assure aussi de sa grâce (He 4.16). La honte selon Dieu découle d’une véritable connaissance de l’exigence et de la miséricorde du Seigneur. En réponse aux « Jamais assez bien » de ce monde, la honte selon Dieu reconnaît que nous ne sommes jamais assez bons en nous-mêmes, mais plus que suffisants à cause du Christ (2 Co 5.21).

En réponse aux « Pour qui te prends-tu ? », la honte selon Dieu nous condamne en tant que pécheurs, mais est suivie du rappel que nous sommes enfants et héritiers de Dieu en raison de notre union avec le Christ (Rm 8.17). La honte selon Dieu n’est pas en contradiction avec l’honneur que Dieu désire pour ses enfants. Comme le vit le fils prodigue lorsqu’il reprend ses esprits (Lc 15.17), la honte selon Dieu réprimande, pousse à la contrition, au repentir et à l’humilité, puis oblige à revenir dans l’étreinte bienveillante de notre Père. Notre pardon y est certain, nous y sommes transformés, nos relations y sont rétablies, notre honneur y est retrouvé. La honte selon Dieu est une chose dont nous avons besoin pour marcher à la hauteur de notre vocation d’enfants de Dieu.

Te-Li Lau est professeur associé à la Trinity Evangelical Divinity School et auteur de Defending Shame: Its Formative Power in Paul’s Letters.

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