L’important séminaire américain de Gordon-Conwell annonçait en mai 2022 son intention de vendre son campus principal après que ses effectifs aient régulièrement diminué de plus de 50 % au cours des dix dernières années.

Alors que plus d’un tiers des Américains s’identifient toujours comme évangéliques, le déclin de leurs séminaires est une sorte d’énigme. L’une des explications est la façon dont certains évangéliques considèrent les études théologiques : un obstacle, voire un obstacle inutile.

Entre ma première et ma deuxième année d’études, pendant l’été, j’avais été invité à assister à une réunion du lundi matin d’une Église locale. Le moral était au beau fixe, car l’assistance du dimanche matin venait d’atteindre un niveau record. En recensant les coordonnées laissées par les visiteurs, il avait été établi avec étonnement qu’après seulement un an d’existence, ce dimanche avait été « le plus réussi ».

En tant que jeune pasteur en herbe, j’étais curieux de savoir comment les Églises suivent et mesurent leurs progrès. J’ai donc posé cette question : « Comment savez-vous que c’est une bonne chose ? » Le pasteur a réfléchi un instant puis a répondu : « Les choses saines poussent. C’est notre philosophie. »

S’il avait raison, c’est-à-dire que devenir plus grand est invariablement un signe de croissance spirituelle, alors il nous faut également supposer qu’un séminaire vendant une partie de ses locaux comme le fait Gordon-Conwell se dirige vers sa fin.

Mais si nous croyons sérieusement que la valeur spirituelle d’une chose ne peut pas être déterminée dans un tableau Excel, alors nous avons besoin d’un autre cadre de référence pour penser ce que signifie croître et prospérer. Je pense à un très ancien cadre de référence — la Croix — où la mort devient le lieu de la vie et où la défaite devient le lieu du triomphe.

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Gordon-Conwell est peut-être en train de rétrécir, tant en termes d’inscriptions que de budget, mais il s’agit toujours d’un endroit où des choses bien vivantes grandissent, où les âmes apprennent à se rendre plus attentives et prennent vie. Nous avons besoin que les institutions supérieures d’enseignement théologique continuent à bien faire leur travail, en nous rappelant qu’il y a des mystères que les calculatrices ne peuvent pas résoudre.

Le séminaire a longtemps été considéré comme un moyen de devenir un pasteur. Je suis maintenant titulaire d’une forme de master en théologie désigné aux États-Unis comme « Master of Divinity » (MDiv). Dans beaucoup de contextes, il s’agit de la première étape à franchir avant d’obtenir un poste pastoral. Il s’avère cependant aujourd’hui que certaines Églises évangéliques se soucient beaucoup moins de cette première étape, au point que les aspirants pasteurs s’entendent dire que le séminaire est inutile, voire une très mauvaise idée.

J’ai moi-même reçu ce genre d’avertissements, et l’argument se présente généralement comme suit : « Pourquoi vouloir aller au séminaire ? C’est financièrement très lourd, vous risquez l’épuisement, c’est beaucoup de travail… » Oui, toutes ces choses sont vraies. Mais s’il s’agit d’obstacles insurmontables pour vous, il me faut vous poser la question : pourquoi cherchez-vous à exercer un ministère à plein temps ?

Si vous espérez passer votre vie à travailler dans le ministère, vous engager dans un programme de séminaire de quelques années à plein temps n’est pas une attente déraisonnable. Pensez aux médecins et aux avocats : vous ne laisseriez pas un autodidacte vous scier la jambe ! De même, le passage par la formation théologique est un moyen de formaliser et manifester votre engagement envers votre vocation. Mais plus que cela, une telle formation pose des fondements au dévouement et à la patience que nécessitera votre travail de pasteur.

Et pourtant, certains membres du monde évangélique semblent avoir considérablement abaissé leurs critères lorsqu’il s’agit d’attendre une formation formelle des pasteurs. Stanley Hauerwas invite à prêter attention à ce problème :

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En toute simplicité, les gens ne croient pas aujourd’hui qu’un pasteur mal formé puisse nuire à leur salut, mais pensent qu’un médecin mal formé peut leur faire du tort. Ainsi, ils se préoccupent beaucoup plus de savoir qui est leur médecin que de savoir qui est leur pasteur. Ce fait montre assurément que, quel que soit le sérieux avec lequel nous nous considérons comme chrétiens, nous pouvons très bien vivre des vies qui vont à l’encontre de notre conviction que Dieu a de l’importance.

Il n’est pas impossible d’acquérir les connaissances et les compétences de base nécessaires pour le pastorat en dehors d’un séminaire — certains l’ont clairement fait. Mais les commodités offertes par l’ère de l’information ne rendent pas la formation théologique formelle obsolète. Même les meilleurs outils de référence biblique disponibles sur le marché ne peuvent fournir le même type de formation holistique qu’un diplôme de séminaire. En outre, les études autodirigées n’impliquent pas les mêmes sacrifices en matière de temps et d’argent.

Si l’intérêt accru pour une formation théologique plus informelle est beau et nécessaire dans l’Église, il ne peut remplacer ce que les séminaires accrédités fournissent : une méthode fiable et universelle pour confirmer un certain degré de compétence et, peut-être plus important encore, de consécration.

Il n’y a pas de raccourcis, même pour ceux qui ne vont pas au séminaire. Se préparer au pastorat demande beaucoup d’études et de travail de l’âme. Et pour ceux qui en ont la possibilité, les études de théologie sont un endroit idéal pour le faire. Comme Zena Hitz le soutient, le « retrait que le travail intellectuel exige » n’a pas forcément à être une manière d’échapper au monde, car il permet de créer « une distance salutaire, un endroit où mettre de côté notre manière de voir les choses pour considérer les choses telles qu’elles sont vraiment ».

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En fin de compte, le séminaire est une occasion unique de croissance spirituelle. Il offre l’espace et le temps nécessaires à une attention profonde et à une solitude formatrice que la vie ordinaire ne permet généralement pas, donnant aux étudiants en théologie la chance de travailler leur foi avec « crainte et le tremblement » dans un environnement qui y est favorable.

Pour certains, les épreuves spirituelles et les crises de foi auxquelles se heurtent de nombreux étudiants en théologie doivent être considérées comme des revers, faisant en quelque sorte obstacle à l’objectif ultime. Mais on n’évite pas les désillusions en fuyant les situations ou les environnements qui pourraient nous y conduire. Nous vivons dans un monde déchu et le travail du pasteur n’est pas de contourner la souffrance et le doute sur la pointe des pieds, mais de s’y frayer un chemin dans la prière.

Ce travail commence au sein des pasteurs eux-mêmes, lorsqu’ils sont confrontés à leur propre bagage de vie. Comme le Shatov de Dostoïevski le dit dans Les Démons : « Si tu veux vaincre le monde, commence par te vaincre. » Il en va de même pour le pasteur : si vous voulez vous occuper de votre troupeau, occupez-vous de votre âme. Entretenez-la pendant les longues heures d’étude. Lorsque vous êtes tenté par le détachement et l’orgueil, luttez avec Dieu. Votre ministère commencera toujours par là.

Comme le recommande Paul à Timothée, les pasteurs doivent être prêts à agir « que l’occasion soit favorable ou non » (2 Tm 4.2), prêts à donner de nous-mêmes en toute saison de la vie. Bernard de Clairvaux fait la distinction entre un canal, qui « déverse ce qu’il reçoit », et un réservoir, qui « évacue le trop-plein sans perte pour lui-même ». Il observait que les réservoirs étaient « beaucoup trop rares » dans l’Église de son époque. Combien plus aujourd’hui ?

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Dans son livre Attente de Dieu, Simone Weil, militante, philosophe et mystique française du 20e siècle, écrit : « La clef d’une conception chrétienne des études, c’est que la prière est faite d’attention. » Elle estimait que l’exercice de l’assiduité dans ses études, qu’il s’agisse de mathématiques ou de théologie, constitue fondamentalement un entraînement à la prière. Après tout, sans capacité d’attention, comment pourrait-on fermer la porte de sa chambre et prier notre Dieu qui est là dans le secret ?

Nous venons au séminaire pour ne pas être « conformés au monde », mais « transformés par le renouvellement de notre intelligence, afin de discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Rm 12.2). Grâce à ce travail de transformation, les pasteurs se préparent non pas à satisfaire le monde et ses critères de réussite, mais à conduire l’Église et ses membres sur les voies du Christ.

Le séminaire est un lieu où l’on apprend à laisser tomber la vie et la « croissance » telles que nous les connaissons. C’est dans cette attention où nous nous effaçons nous-mêmes que nous pouvons découvrir Dieu dans toute sa gloire transformatrice. Ce temps d’attente n’est pas simplement une tâche à accomplir avant de passer à la suite. Il fait lui-même partie de la destination. C’est pour cela que le séminaire n’est pas seulement un moyen ; il est aussi une fin.

Quoi qu’en disent ceux qui annoncent la disparition de Gordon-Conwell et d’autres séminaires évangéliques, certains d’entre nous serons toujours là, à écrire nos dissertations, à aimer notre prochain et à nous rendre attentifs à Dieu.

Noah R. Karger est étudiant en master au Séminaire théologique Gordon-Conwell et assistant de recherche au Center for the Study of Global Christianity.

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