Pour Charles Spurgeon, le célèbre prédicateur du 19e siècle, la dépression était plus qu’un simple phénomène circonstanciel. Les exemples qu’il utilisait à ce propos dans ses prédications et conférences, souvent enracinés dans sa propre expérience, tenaient compte d’une forme importante de la dépression : celle qui vient sans cause. Dans un sermon, il déclarait :

Lorsque votre esprit est déprimé, vous pouvez avoir à portée de main tous les réconforts qu’offre la vie et vous trouver pourtant dans une misère plus sombre que la mort. Vous pouvez n’avoir aucune cause extérieure de chagrin et pourtant, si l’esprit est abattu, le soleil le plus brillant ne soulagera pas votre tristesse. […] Il y a des moments où tout ce qui nous apparaissait évident s'obscurcit et où toutes nos joies s’enfuient. Bien que nous puissions encore nous accrocher à la Croix, c’est d'une façon désespérée.

Spurgeon comprenait que la dépression n’est pas toujours « logique » et que sa cause n’est pas toujours évidente. Il y a des moments, disait-il, où notre esprit nous trahit, et nous nous enfonçons dans les ténèbres. Nous sombrons dans des « abîmes sans fond » où nos âmes « peuvent saigner de dix mille façons et mourir encore et encore à chaque heure ». On ne peut pas raisonner cela, et il est difficile d’y trouver un remède. Comme il l’exprimait lors d'une conférence donnée à ses étudiants :

On peut aussi bien se battre avec la brume qu'avec ce désespoir informe, indéfinissable et pourtant si enveloppant. On ne s’accorde aucune pitié dans cette situation, parce qu’il semble déraisonnable, et même coupable d’être troublé sans cause manifeste ; et pourtant l’homme est réellement troublé, au plus profond de son esprit même […] Il faut une main céleste pour repousser ce désespoir […] car rien de moins ne sera capable de chasser ce cauchemar de l’âme.

Je suis extrêmement reconnaissante pour des citations de Spurgeon telles que celle-ci, parce qu'elles témoignent de sa compréhension de telles expériences. Je me souviens à quel point je me suis senti impuissante face à ma propre dépression, à quel point il me semblait que j’étais impuissante à faire quoi que ce soit pour y échapper. Certaines personnes s’attendaient à ce qu’il y ait un remède miracle, une solution logique, ou qu’une sorte de résolution spirituelle permette d’en triompher, mais la lumière et la joie continuaient à se dérober.

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Spurgeon avait manifestement expérimenté cette impuissance, ainsi que la maladresse de beaucoup face à cet état. Il interpella d'ailleurs directement depuis la chaire ces « aides » dures et insensibles – promptes à blâmer, promptes à exhorter les personnes dépressives à se sortir de là, et lentes à faire preuve de compassion. Il ne tolérait pas non plus l’affirmation accusatrice selon laquelle les « bons chrétiens » ne pourraient pas être touchés par la dépression. « Le peuple de Dieu, prêchait-il, marche parfois dans les ténèbres sans voir de lumière. Il y a des moments où les meilleurs et les plus brillants des saints n’ont pas de joie. »

Pour lui, il était évident que le fait qu’elle passe par une dépression ne permettait pas de savoir si une personne était chrétienne ou non ; ce n’était pas non plus un signe que quelqu'un ne grandit pas dans sa foi. Il est possible d’être fidèle et déprimé : « La dépression de l’esprit n’est pas un indice que la grâce décline – la perte de la joie et l’absence d’assurance peuvent s’accompagner de la plus grande des avancées dans la vie spirituelle ». Puissent les pasteurs être toujours plus nombreux à prêcher ainsi !

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Peut-être faites-vous l’expérience que votre moral est si bas que vous ne pouvez rien faire, rien apporter aux autres. Vous êtes submergé et paralysé par la tristesse. Votre cerveau est brumeux, votre humeur est maussade. Tout est sombre. Puis apparaissent les questions : Et si cela perdurait ? Et si je ne pouvais plus jamais faire quoi que ce soit de valable ?

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Spurgeon connaissait ce sentiment. C’est peut-être la raison pour laquelle, dans une conférence sur la dépression adressée à ses étudiants, il leur dit : « Ne pensez pas que c'en est fini de votre utilité ». Il fut abattu plusieurs fois physiquement et émotionnellement, mais cela n’a pas arrêté son ministère. Il a écrit des milliers de sermons et d’innombrables lettres, lu abondamment, rencontré des gens, prié avec eux, mis en place et structuré des ministères et enseigné au Pastor’s College (« Collège pour pasteurs »). Sa souffrance ne l’a pas empêché de continuer à être utile. Au contraire, tout cela a porté des fruits dans sa vie. Son expérience de la dépression lui a permis d’encourager et de soutenir d’autres personnes qui en souffraient également.

Ainsi, Spurgeon, exhortait ses étudiants à prendre conscience des situations dans lesquelles ils pourraient être plus susceptibles de souffrir de dépression. La liste qu’il leur donna a bien des traits autobiographiques :

  • quand vous avez une maladie qui se prolonge ou des problèmes physiques,
  • quand vous êtes plongé dans un travail mentalement ou émotionnellement intense
  • quand vous êtes seul ou isolé
  • quand vous menez une vie sédentaire et que vous surmenez votre cerveau
  • après le succès
  • avant le succès
  • après un coup dur
  • quand les ennuis et les découragements s'accumulent peu à peu
  • quand vous traversez une période d’épuisement et de surmenage

Mais la dépression peut aussi simplement advenir sans cause, sans raison, sans justification, ce qui, à ses yeux, était le cas de figure le plus douloureux de tous.

Spurgeon offrait également des conseils compatissants et pratiques à ses paroissiens, prêchant à propos de choses telles que le besoin de repos : « L’esprit a besoin d’être nourri et le corps a lui aussi besoin de nourriture. N’oubliez pas de prendre en considération ces questions ! Il pourra sembler à certaines personnes que je ne devrais pas mentionner de petites choses comme la nourriture et le repos, mais ce sont peut-être les tout premiers éléments qui devraient être mentionnées pour aider véritablement un pauvre serviteur de Dieu déprimé ». Prendre soin de soi n’est pas une simple idée moderne. Spurgeon avait appris de sa propre expérience que prendre bien soin de son corps représente une part importante de la lutte contre la dépression, et il partageait volontiers cette sagesse durement acquise.

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Sa propre souffrance lui permettait également de mieux compatir avec les autres et les réconforter. Les gens venaient depuis des kilomètres à la ronde pour solliciter conseil et consolation, et ceux qui ne pouvaient pas venir lui écrivaient des lettres. C’était un « guérisseur blessé » qui utilisait son propre chagrin pour apporter du réconfort aux autres:

C’est un grand cadeau que d’avoir appris par expérience à compatir. « Ah !, leur dis-je, J’ai été là où vous êtes en ce moment ! » Ils me regardent, et leurs yeux affirment : « Non, tu n’as sûrement jamais ressenti ce que nous ressentons. » Je poursuis alors par ces mots : « Si tu te sens plus mal que je ne l’ai été, je te plains vraiment, car j’aurais pu dire avec Job : "Mon âme préfère la mort à la vie". J’aurais aisément pu me faire violence de mes propres mains pour échapper à l'état misérable de mon esprit ».

Il y a un profond réconfort à réaliser que quelqu’un d’autre comprend, au moins en partie, votre souffrance. Une telle personne peut offrir un secours différent de ce que tous les autres pourraient apporter. Survivre à des expériences douloureuses telles que la dépression nous place dans une position particulière et nous confère la responsabilité spécifique d’offrir présence et réconfort à d’autres. Spurgeon nous encourage à ne pas l’oublier : « Celui qui a été dans le cachot obscur connaît le chemin qui mène au pain et à l’eau. Si vous avez traversé la dépression et que le Seigneur est intervenu pour vous réconforter, soyez prêt à aider ceux qui sont maintenant dans une situation similaire à celle que vous avez connue ».

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Vous êtes toujours utile, nous dit Spurgeon. Vous aussi, vous pouvez être un compagnon pour qui chemine dans l’obscurité.

Chanter dans les ténèbres

Quand je pense aux paroles que Spurgeon nous a transmises, héritage de ses propres luttes, cela me rappelle un hymne vigoureux que je me souviens avoir chanté dans l’Église de mon enfance :

Fondé sur les promesses inébranlables,
Quand les tempêtes hurlantes du doute et de la peur m’accablent,
Par la Parole vivante de Dieu je demeurerai stable
Fondé sur les promesses de Dieu.

Dans les moments les plus misérables de la vie de Spurgeon, ce sont les promesses de Dieu dans les Écritures qui le sortirent du désespoir. Dans les premières années de son ministère, alors même qu’il était déprimé et désemparé face aux critiques sévères qui lui étaient adressées, il fut réconforté grâce un verset de la Bible écrit de la main de sa femme Susannah : « Heureux serez-vous, lorsqu'on vous insultera » (Mt 5.11). Au fil des années, un autre verset le remplaça, toujours recopié par sa femme : « Je t’ai éprouvé dans le creuset de l’affliction » (Es 48.10). Après la catastrophe du Surrey Gardens MusicHall, alors que sept personnes avaient été piétinées à mort et de nombreuses autres blessées après une fausse alerte durant la prière de Spurgeon pendant un service bondé, ce sont les Écritures qui l'ont consolé et tiré du gouffre.

Et à de nombreuses reprises dans ses sermons, les paroles de l’Écriture et la vie des personnages bibliques l’encourageaient. Ils lui rappelaient la vérité. Ils l’aidaient à continuer à chanter. Ils le gardaient en vie. C’était là, où les promesses de Dieu se heurtaient à sa propre douleur, qu’il trouvait l’espérance.

Dans son introduction au Carnet de chèques de la Banque de la Foi, un livre de méditations rédigé alors qu’il luttait contre la compromission de la doctrine au sein du corps pastoral (durant ce qui a été appelé « The Downgrade Controversy »), Spurgeon écrit ceci : « Je crois à toutes les promesses de Dieu, et j’ai personnellement éprouvé et vu tenir beaucoup d’entre elles. […] Je dirais donc à mes [frères et sœurs chrétiens] dans leurs épreuves — Mes frères, Dieu est bon. Il ne vous abandonnera pas : il vous supportera. […] Tout le reste passera, mais sa parole ne passera jamais » .

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« Tant mieux pour Spurgeon », pourrions-nous dire, « mais c’est si difficile ». Il le savait, bien évidemment. Il a connu cette lutte, la lutte pour la foi, pour continuer à croire, la lutte pour s’accrocher à l’espérance offerte par les promesses. Il connaissait les tentations du doute. Il savait combien la dépression les rendait encore plus difficiles à supporter, combien il semblait plus facile de remettre en question la bonté de Dieu, sa fidélité, sa présence continue : « Ce perpétuel assaut, ces coups de poignard incessants, ces cisaillements lancinants, ces constants coups de hache à l'encontre de la foi, ne sont pas choses faciles à supporter ». Mais il nous faut endurer. Et c’est précisément « en endurant qu’on apprend à endurer ». Nos épreuves enrichissent ces promesses et renforcent encore davantage notre foi en elles, car nous voyons encore et encore qu’elles sont suffisamment robustes pour nous soutenir. Elles nous enseignent l’humble dépendance à l'égard d’un Dieu fidèle.

Spurgeon ne voyait pas la solution à la souffrance et à la dépression dans les mantras que de nombreux chrétiens déprimés ont trop souvent entendu : Lisez la Bible, priez davantage, ayez la foi. Il n’y a pas de panacée à la dépression, pas de remède spirituel facile. Mais quand nous sommes dans les ténèbres, les promesses des Écritures sont suffisamment fortes pour nous garder attachés à lui. Savoir que nous appartenons au Christ est une ancre. Quand nous nous débattons, quand nous ne savons pas si nous pourrons continuer, quand nous nous sentons perdus, quand les ténèbres nous consument, nous pouvons encore nous accrocher aux promesses de Dieu, même quand nous avons à peine la force d’y croire. Ces promesses sont sûres, quels que soient nos sentiments, quel que soit notre état extérieur.

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Lorsque nous voyons des personnages bibliques comme Eli, qui voulait mourir, ou les psalmistes, qui luttaient contre la dépression et des sentiments d’abandon par Dieu, et que « nous nous trouvons dans des situations similaires », déclarait Spurgeon, « nous sommes soulagés de découvrir que nous marchons sur un chemin que d’autres ont parcouru avant nous ». Nous voyons ces saints jetés dans les ténèbres. Mais nous voyons aussi la fidélité de Dieu. Et nous voyons aussi et surtout ses promesses suffisamment solides pour préserver ces personnes, comme elles peuvent le faire pour nous. Ne soyez donc pas consternés, leurs histoires nous rappellent qu'ils sont aussi passés par là. Et que c’est une épreuve que beaucoup ont dû endurer. Vous êtes toujours à lui. Le Christ qui vous a racheté ne vous abandonnera pas dans l’obscurité.

Spurgeon a dit un jour : « Dans la nuit du chagrin […] les croyants [sont] comme des rossignols, et ils chantent dans l’obscurité. Il n’y a pas de véritable nuit pour un homme qui a l’esprit d’un rossignol ». Cela me rappelle un message que j’ai reçu un jour d’un ami : « Tu es courageuse. Tu te tiens dans les ténèbres, te murmurant la Vérité à toi-même ». Je me sentais tout sauf courageuse à l’époque. Cela avait été une année difficile. Cela avait été une année de larmes, de questions et de nuits agitées. Et voici que mon ami le plus proche me disait courageuse. Je ne pouvais pas le croire. Je n’étais pas courageuse, j’étais désespérée. Que pouvais-je faire d’autre dans cet endroit sombre à part continuer à murmurer la Vérité ? C’était tout ce que j'étais capable de faire pour garder l’obscurité à distance, pour l’empêcher de m’étouffer.

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Voilà ce que Spurgeon nous offre. Un appel à chanter les promesses de Dieu. Chantez sa fidélité. Même si vous ne pouvez pas encore la voir, même si vous ne la sentez pas, murmurez-vous la Vérité. Chantez dans l’obscurité.

Adapté deCompanions in the Darkness de Diana Gruver. Copyright ©2020, Diana Janelle Gruver. Utilisé avec la permission de InterVarsity Press, P.O. Box 1400, Downers Grove, IL, 60516-1426 www.ivpress.com

Traduit par Jean-Paul Rempp

Révisé par Léo Lehmann

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