Ce que Luther et Calvin sont pour des chrétiens évangéliques du monde entier, Kwame Bediako l’est pour de nombreux évangéliques africains. Depuis sa conversion soudaine en 1970 jusqu’à sa mort en 2008, Bediako a été l’un des principaux architectes et inspirateurs d’un travail théologique prenant en compte les réalités des cultures africaines.

En ce 20e anniversaire de la publication (par Orbis Books) de certains de ses textes les plus marquants dans Jesus and the Gospel in Africa: History and Experience, les sept réflexions rassemblées ci-dessous montrent que son souvenir résonne encore sur le continent.

Né et élevé au Ghana, Bediako était un athée professant qui étudiait la littérature existentialiste en tant que doctorant à Bordeaux, en France. C’est sous la douche qu’une prise de conscience soudaine de la vérité du Christ l’envahit un jour avec force. Il termine ses études en littérature française, mais tourne son vif esprit vers la Bible et la théologie. Il passe un second doctorat à Aberdeen, en Écosse, sous la direction du missiologue Andrew Walls, qui qualifiera Bediako de « théologien africain le plus remarquable de sa génération ».

Bediako participe au premier congrès international sur l’évangélisation mondiale à Lausanne, en Suisse, en 1974, où il rencontre d’autres évangéliques importants au sein du monde majoritaire, notamment René Padilla, Samuel Escobar et Vinay Samuel. C’est à cette époque qu’il conçoit l’idée d’un centre de recherche sur la relation entre l’Évangile et la culture africaine. Avec le soutien de sa dénomination, l’Église presbytérienne du Ghana, cette vision se concrétise sous la forme de l’Institut Akrofi-Christaller de théologie, de mission et de culture (ACI) en 1987.

Tout évangélique qu’il était, Bediako cherchait à établir des liens entre l’Évangile et les religions traditionnelles africaines. Selon lui, le succès de l’Évangile en Afrique « montre clairement que la forme de religion autrefois considérée comme la plus éloignée de la foi chrétienne [c’est-à-dire les religions traditionnelles africaines] avait une relation plus étroite avec elle que n’importe quelle autre ».

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Il soutenait que Jésus-Christ s’adresse à nous dans les termes de notre « héritage humain ». Dans l’un de ses textes, il s’appuie avec éloquence sur le Nouveau Testament, en particulier la lettre aux Hébreux, pour affirmer que le Christ est notre « frère aîné » et qu’il remplit la fonction de médiateur que les religions traditionnelles africaines attribuent aux ancêtres.

Tout en rejetant l’idée d’une pleine continuité entre les religions africaines et le christianisme, Bediako se démarquait de l’idée d’une complète discontinuité promue par le Nigérian Byang Kato, premier secrétaire général de l’Association des évangéliques d’Afrique. Cette tension entre les approches de Bediako et de Kato sur l’interaction entre la foi chrétienne et la culture africaine persiste aujourd’hui et apparaît notamment dans deux des réflexions présentées ci-dessous.

Ebenezer Yaw Blasu, chercheur, Institut Akrofi-Christaller, Akropong, Ghana

J’ai rencontré Kwame Bediako pour la première fois en 1988, alors que j’étais pasteur étudiant presbytérien. Il était occupé à trier des livres dans ce qui est aujourd’hui la bibliothèque Zimmerman de l’ACI. Au cours de notre brève conversation, il m’a exhorté à faire en sorte que mon ministère soit « africain ». J’ai écouté, mais sans enthousiasme. À l’époque, mes principales inspirations théologiques étaient Karl Barth et John Macquarrie, qui ne parlaient pas du tout d’indigénéité dans le travail théologique.

En 1990, j’ai été invité à prendre la parole lors d’une campagne d’évangélisation à Ottawa, au Canada, sur le rôle du christianisme dans la transformation des cultures autochtones. Soudain, l’exhortation de Bediako a résonné dans mon esprit. Comme par une intervention divine, je l’ai rencontré à Accra sur le chemin de l’aéroport. Il m’a tendu avec enthousiasme un nouveau livre qu’il avait publié, Jesus in African Culture: A Ghanaian Perspective. La lecture de ce livre durant le vol a grandement contribué à l’élaboration de mon message et à son succès. Pour la première fois, j’ai parlé en tant qu’évangéliste africain en dehors de l’Afrique, à la gloire de Dieu.

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Bediako pensait que le programme d’enseignement théologique en Afrique devait préparer les responsables chrétiens à leur tâche en les reliant à l’œuvre rédemptrice et transformatrice du Dieu vivant dans le contexte africain. Si l’Afrique est aujourd’hui un foyer de foi chrétienne, insistait-il lors d’un atelier en 1996, alors la force motrice de l’élaboration des programmes d’études devrait être « une affirmation positive du christianisme africain, et pas seulement une réaction africaine contre l’Occident ».

Le travail de Kwame a libéré mon esprit en établissant la vérité indéniable que le christianisme n’est pas une « religion occidentale » et que les Occidentaux ne sont pas les arbitres ultimes de la théologie et de la foi chrétiennes. La théologie authentique a besoin d’apports contextuels, y compris ceux provenant d’expériences autochtones ou sur le terrain. Par conséquent, le christianisme africain doit et peut produire des théologies africaines qui contribuent à la réflexion théologique du christianisme mondial.

Seblewengel Daniel, directeur, Bureau d’envoi d’Afrique de l’Est, SIM, Addis Abeba, Éthiopie

Kwame Bediako était mon directeur de thèse. Ses conférences étaient à la fois stimulantes sur le plan intellectuel et nourrissantes sur le plan spirituel. Il était également attaché à l’enracinement de la foi chrétienne dans les Écritures et à son expression autochtone authentique.

Bediako a fortement plaidé en faveur d’une interaction continue entre l’Évangile et la culture. Il affirmait que les gens devraient aborder leur héritage préchrétien avec une pleine confiance dans la puissance de l’Esprit pour les guider et les éclairer. La conversion, disait-il, ne consiste pas à abandonner complètement son héritage et à prendre une identité étrangère, mais à se tourner vers le Christ avec la totalité de son être. Cette rencontre divine est ce qui permet de devenir un authentique chrétien africain.

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Kwame était un prédicateur et un enseignant charismatique. La profondeur de ses connaissances et de son engagement en faveur de l’Église en Afrique est indescriptible.

Le professeur Bediako était très chaleureux avec ses étudiants et avait un sens de l’humour délicieux. Il s’intéressait beaucoup à notre vie et à celle des membres de notre famille. Il prenait le temps de rendre visite aux étudiants là où ils habitaient, et lui et sa femme, Mary, nous invitaient à manger chez eux.

J’apprécie également son dévouement inébranlable à la promotion des théologiennes. Il a délibérément mis en place une discrimination positive dans son institut en nommant des femmes à des postes de direction.

Aiah Foday-Khabenje, ancien secrétaire général de l’Association des évangéliques d’Afrique ; directeur national de Children of the Nations, Freetown, Sierra Leone

L’ouvrage révolutionnaire de Kwame Bediako intitulé Theology and Identity présente la théologie en termes d’identité personnelle comme fondement et outil herméneutique de la réflexion théologique. Jesus and the Gospel in Africa est un recueil d’articles sur la façon dont le Christ pourrait être la réponse aux questions que les Africains se posent sur des sujets pertinents dans leur contexte, plutôt qu’aux questions soulevées par le christianisme missionnaire de l’Occident. Il montre comment Dieu peut parler aux Africains dans des termes africains et en leur faisant entendre ce qu’il a fait dans leurs langues maternelles africaines.

Les convictions théologiques de Bediako s’inspirent de son expérience personnelle et de la manière dont certains pères de l’Église ont pratiqué leur foi dans le contexte de la culture gréco-romaine. Bediako pensait qu’il était possible pour les gens d’entrer en contact avec le Christ par le biais de leurs croyances culturelles, sans que l’Évangile ne doive passer par l’intermédiaire de missionnaires occidentaux pour atteindre l’Afrique.

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On pourrait penser que la quête de Bediako consistait simplement à donner un visage africain à la théologie, en revêtant la vérité chrétienne d’illustrations et d’applications sensibles au contexte. Cependant, ces aspirations pour la théologie africaine étaient plus complexes et plus diverses que la contextualisation. Elles impliquaient aussi des tentatives d’identifier une corrélation entre le christianisme et la culture africaine, ou entre les religions traditionnelles africaines et la vision chrétienne du monde. Cet aspect de son projet a soulevé des doutes quant à l’orthodoxie de son approche.

Diane Stinton, professeure associée de christianisme mondial, Regent College, Vancouver, Canada

Sous la supervision de Bediako pour mes études de doctorat sur les christologies africaines contemporaines, j’ai pu apprécier ses contributions durables à la recherche théologique. Il a souligné le rôle de l’Afrique dans l’histoire du christianisme, remis en valeur l’importance des religions primitives pour l’épanouissement du christianisme africain, insisté sur une identité intégrale des chrétiens africains, donné sa place au christianisme africain dans les études de l’histoire et de la théologie chrétiennes et mis l’accent sur les expressions vernaculaires et informelles de la théologie.

Après avoir obtenu mon doctorat, j’ai participé au lancement d’un programme de maîtrise sur le christianisme africain à l’université Daystar de Nairobi, inspiré par son équivalent à l’ACI et honoré par une conférence inaugurale de Bediako en 2006.

L’une des convictions centrales de la recherche et du ministère de Bediako était l’importance considérable des Écritures en langues maternelles en Afrique. Contre le dénigrement des langues, des cultures et des religions africaines par de nombreux interprètes occidentaux, Bediako a suivi son mentor Andrew Walls en considérant le christianisme africain comme une démonstration vivante que l’Évangile est « infiniment traduisible ».

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Bediako est un exemple de ce que Kenneth Cragg appelle « l’intégrité de la conversion ». Il a fait preuve d’une foi intégratrice qui rassemble « les fragments brisés de notre histoire » — une phrase tirée d’une prière de la Communion anglicane kenyane qu’il aimait citer — et les place devant Jésus pour qu’ils soient rachetés.

Kayle Pelletier, conférencier, Séminaire théologique d’Afrique du Sud, Sandton, Afrique du Sud

Lorsque j’étais étudiant au séminaire et que je sentais que Dieu m’appelait à suivre une formation théologique en Afrique, j’ai suivi un cours sur les religions traditionnelles africaines (RTA). C’est là que j’ai rencontré Kwame Bediako pour la première fois. Au début des années 2000, Bediako était l’un des rares théologiens africains dont les travaux étaient facilement accessibles.

Aujourd’hui, après 20 ans d’enseignement théologique au Zimbabwe et en Afrique du Sud, je retourne à Bediako pour mieux comprendre pourquoi l’Afrique reste un environnement religieux aussi syncrétique alors que le christianisme est présent sur le continent depuis plus d’un siècle.

En réponse aux appréciations occidentales défavorables des religions traditionnelles, Bediako a, à juste titre, accordé de l’importance aux conditions religieuses originelles qui ont permis l’acceptation de l’Évangile en Afrique. Il a cherché à définir une identité chrétienne africaine authentique à partir des expériences et des croyances religieuses préchrétiennes des peuples africains. Cependant, le fait de relier des éléments similaires ou continus entre croyances préchrétiennes et croyances chrétiennes n’a fait qu’échanger l’influence philosophique et culturelle occidentale sur le christianisme contre une influence africaine, contribuant ainsi à un évangile syncrétique, qui s’accommode des traditions. L’Écriture, à travers laquelle nous devons interpréter toute culture préreligieuse imprégnée de la révélation générale, transforme les croyances et les pratiques selon leur image biblique, créant ainsi une identité chrétienne authentique pour tous.

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Nathan Chiroma, directeur de l’Africa College of Theology, Kigali, Rwanda

En tant que jeune théologien africain (originaire du Nigeria), j’ai assisté à deux séminaires de Kwame Bediako au Ghana. Il m’a encouragé, en tant que jeune théologien africain, à entretenir une méditation théologique approfondie ancrée dans mes origines africaines. Par ses œuvres et sa vie, il m’a donné la confiance et l’inventivité nécessaires pour aborder la théologie.

L’une des contributions significatives de Bediako à la théologie africaine est l’idée selon laquelle les chrétiens africains peuvent pratiquer un christianisme authentique dans le cadre de leurs propres expressions culturelles, réfutant ainsi le mythe selon lequel le christianisme est uniquement une religion occidentale ou de l’homme blanc. Il m’a fourni un modèle pour faire de la théologie d’une manière qui soit fidèle à l’Évangile et au contexte africain, m’a mis au défi d’aborder les complexités de la religion et de la culture dans une perspective biblique, et m’a incité à réévaluer mes idées préconçues sur le christianisme africain reçues dans le contexte d’un enseignement occidental.

Bediako a profondément influencé de nombreuses institutions théologiques africaines, créées à l’origine par des missionnaires étrangers, qui enseignaient des concepts occidentaux en décalage avec notre contexte africain. Ses écrits ont joué un rôle déterminant dans la transformation des écoles afin qu’elles s’alignent mieux sur nos perspectives locales. En plus de redéfinir le cadre du christianisme africain, son dévouement à la théologie contextuelle a favorisé un débat théologique plus inclusif et plus représentatif.

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Casely Essamuah, secrétaire du Forum chrétien mondial et Ghanéen d’origine

Avant sa conversion, Kwame Bediako était un athée qui était arrivé à ses conclusions intellectuellement et avec une telle conviction qu’il ne pouvait pas les garder pour lui. Après sa conversion, il estimait qu’une vie intellectuelle sans référence au Dieu vivant et au Christ vivant était vaine.

Bediako a poursuivi ses études dans une communauté où la prière et le culte occupaient une place centrale. Il considérait la recherche comme une opportunité de service et d’élargissement du regard, non seulement pour satisfaire les spécialistes, mais aussi pour équiper les responsables des églises locales — d’où son insistance pour que l’ACI soit située à Akropong, le cœur du presbytérianisme au Ghana, et non à Accra, la capitale politique et académique du Ghana. En outre, l’institut exige que toutes les thèses de master et de doctorat soient résumées dans les langues locales. Il n’est pas étonnant que le centre qu’il a créé continue de prospérer en son absence.

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