Au beau milieu de la guerre à Gaza, les Juifs les plus religieux d’Israël ont menacé d’émigrer.

La déclaration publiée par le grand rabbin de la communauté séfarade en mars n’avait rien à voir avec la peur des roquettes du Hamas ou la poursuite de la lutte contre celui-ci. Elle n’était pas non plus liée aux protestations concernant les otages restants ou aux appels au cessez-le-feu.

Leur inquiétude portait plutôt sur l’enrôlement forcé des juifs haredim, couramment désignés comme ultraorthodoxes, dans l’armée.

Le 25 juin, la Cour suprême d’Israël a statué à l’unanimité contre eux. Bien qu’un plan doive encore être formulé, environ 66 000 ultraorthodoxes sont désormais éligibles à l’enrôlement.

Israël exige trois ans de service pour la plupart des hommes et deux ans pour la plupart des femmes. Mais en 1947, le Premier ministre de l’époque, David Ben Gourion, avait exempté 400 étudiants de yeshiva qui souhaitaient se consacrer à la prière et à l’étude de la Torah.

Reconnaissables à leur tenue traditionnelle noire et blanche, leur chapeau, leur longue barbe et leurs boucles latérales, les ultraorthodoxes se désignent eux-mêmes couramment comme haredim, reprenant un terme d’Ésaïe 66.2 qui affirme que Dieu favorise ceux qui « tremblent » à sa parole. Le succès d’Israël, selon eux, est lié à Lévitique 26.3, où l’épanouissement du pays dépend de l’observation « minutieuse » de la loi, interprétée comme un travail rigoureux des Écritures.

Aujourd’hui, la communauté haredi est celle qui connaît la croissance la plus rapide dans la société israélienne. Elle représente 13 % de la population et, selon les estimations, devrait en composer un quart d’ici à 2050. Pourtant, si 540 hommes haredim remplissant les conditions militaires se sont volontairement enrôlés pour combattre depuis le 7 octobre, des dizaines de milliers d’entre eux ont échappé à l’appel en vertu de l’exemption de Ben Gourion.

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En 1998, la Cour suprême israélienne avait jugé qu’une loi était nécessaire pour codifier cette politique. Celle-ci a été adoptée en 2002. Israël a également créé une yeshiva incluant le service militaire ainsi qu’un bataillon spécial pour les hommes haredim. Bien que des milliers s’y soient joints, la grande majorité rejette l’influence sécularisante des Forces de défense israéliennes (FDI), qu’elle considère comme une menace pour la spécificité de leur communauté religieuse.

La plupart des haredim ne célèbrent pas la fête de l’indépendance israélienne qui a eu lieu cette année du coucher du soleil au coucher du soleil les 13 et 14 mai. S’ils ne sont pas antisionistes, ils pensent que seul le messie à venir pourra rétablir la nation d’Israël sur sa terre. En attendant, ils soutiennent l’actuelle entreprise humaine par leurs prières.

Mais en 2017, la Cour suprême a jugé que la loi de 2002 était discriminatoire et a ordonné au gouvernement d’y remédier. Compte tenu de la forte influence des haredim sur la politique, la question a été laissée en suspens jusqu’au 28 mars, date à laquelle des juges ont interdit à l’État de continuer à verser des allocations aux étudiants des yeshivas éligibles à l’appel sous les drapeaux. Les autorités ont déclaré qu’elles ne procéderaient pas à une conscription massive, mais que 55 000 Haredi, répartis dans plus de 1 200 yeshivas, perdraient leur financement.

La controverse a suscité des manifestations et des contre-manifestations opposant juifs religieux et laïques. Nous avons demandé à Samuel Smadja, responsable d’une synagogue juive messianique à Jérusalem, d’apporter son éclairage sur la situation.

Son père, qui a trouvé la foi au sein de la petite minorité juive de Tunisie, a été l’un des premiers croyants messianiques en Israël, où il a immigré en 1956. Aujourd’hui, Samuel Smadja est le directeur régional de Trinity Broadcasting Network. Il a fondé Sar-El Tours pour permettre aux chrétiens de renouer avec leur héritage en Terre sainte. Il a également des parents haredim dans sa famille.

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Nous avons évoqué avec lui la place des yeshivas dans la politique israélienne actuelle, l’efficacité des prières des haredim et les meilleures méthodes pour parler de Jésus à une communauté isolée dont certains membres assimilent le prosélytisme aux agissements d’Adolf Hitler.

Comment les juifs messianiques perçoivent-ils l’armée israélienne ?

Les enfants des juifs messianiques sont pleinement engagés et s’efforcent d’être les meilleurs soldats possibles. Il ne s’agit pas seulement d’affirmer notre légitimité dans la société, mais aussi d’être une lumière pour l’Évangile et de faire progresser notre témoignage.

Nous voulons que nos enfants soient promus aux postes les plus élevés et servent d’exemple.

Comment les juifs messianiques considèrent-ils les haredim ?

Il est préférable de parler de judaïsme orthodoxe, car les haredim en sont un sous-ensemble et il existe une diversité en leur sein. Certains s’engagent dans l’armée, d’autres non. Il est difficile de généraliser, car tout dépend du rabbin qu’ils suivent.

Mais en général, comme le disait Paul, ils craignent Dieu, mais sans connaissance. Les juifs orthodoxes s’efforcent de respecter les commandements et de faire de leur mieux pour gravir l’échelle de la justice afin de se rapprocher de Dieu. Et ils sont prêts à payer le prix de leurs convictions, surtout en ces temps de guerre.

Je crois que nous devons les respecter.

Mais nous ne sommes pas d’accord avec eux, même si nous avons beaucoup en commun sur des questions morales telles que l’avortement et la compréhension traditionnelle de l’éthique judéo-chrétienne. Face à de nombreux juifs laïques, il faut prouver l’existence de Dieu. Mais les orthodoxes acceptent la vérité de la Bible. S’ils sont prêts à discuter, cela exige de nous une connaissance approfondie de l’Écriture.

Ils connaissent très bien l’Ancien Testament, en particulier les cinq premiers livres de Moïse.

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Sont-ils prêts à discuter ?

Beaucoup plus que par le passé. J’ai grandi en Israël et, il y a 25 ans, le nom Yeshoua (Jésus) était un mot très problématique. Les juifs messianiques étaient inconnus parce que nous étions très peu nombreux. Aujourd’hui, les gens savent que nous existons et que nous croyons que Yeshoua est le Messie.

Cela donne lieu à une discussion intéressante. Le débat se centre sur la manière de prouver l’idée d’un messie souffrant, et pas seulement à partir d’Ésaïe 53, dont ils ont une interprétation différente. Nous abordons ensuite l’unité complexe de Dieu — la Trinité — et les propos de Jean : « Au commencement était la Parole ; la Parole était auprès de Dieu » (1.1). Cette notion est fréquemment mentionnée dans la littérature rabbinique, et nous examinons comment Jean se positionne par rapport à cela.

Le messie de Dieu doit-il être divin ou simplement un rabbin proéminent ? Ce que le chrétien moyen tient pour acquis, nous devons le prouver aux orthodoxes, tout comme Jésus l’a fait sur la route d’Emmaüs lorsqu’il a expliqué la Loi et les Prophètes.

Pourquoi Ésaïe 53 est-il insuffisant ?

Les Juifs disent que ce chapitre parle d’Israël et que c’est de la souffrance des Juifs dont il est question. Les prophéties d’Ésaïe présentent quatre portraits du « serviteur de l’Éternel ». L’un renvoie à un prophète, un autre au peuple d’Israël, un autre à un messie et un dernier à Cyrus, le souverain de Babylone. Les Juifs nous demandent pourquoi nous nous centrons sur Yeshoua, alors que le texte dit « il verra une descendance et vivra longtemps » (v. 10).

Bien que le Juif moyen ne le sache pas, la littérature rabbinique parle de deux messies : le fils de David et le fils de Joseph. Et Joseph, envoyé par ses frères en esclavage en Égypte, est une figure de souffrance.

La Genèse donne à voir cette belle scène où Joseph se présente à ses frères et ceux-ci ne le reconnaissent pas jusqu’à ce qu’il se dévoile. Nous devons leur montrer que ces deux messies sont la même personne. Mais peut-être qu’après 2000 ans de tradition chrétienne, le Jésus dont nous parlons ressemble trop à un « Égyptien ».

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Et comment Jean entre-t-il en résonance avec la littérature rabbinique ?

Vous vous souvenez de la rencontre de Jacob avec Dieu et de la vision d’une échelle montant au ciel ? Quittant sa patrie, le fils d’Isaac est troublé dans son esprit. Il oint une pierre et dit : « Si Dieu est avec moi et me garde pendant mon voyage […] alors l’Éternel sera mon Dieu. » (Gn 28.20-21)

Dans les traductions araméennes de la Torah — Targum Onkelos et Targum Jonathan — que les orthodoxes apprécient pour leurs commentaires, cette dernière formule est rendue par « la parole de Dieu sera mon Dieu ». Il existe plus de 500 exemples de cette manière de parler, car lorsque le nom « Jéhovah » est écrit deux fois pour des questions d’accentuation, on utilise souvent « parole de Dieu » comme synonyme.

Jean nous dit que la Parole de Dieu est Yeshoua.

Les juifs orthodoxes prient et croient que Dieu répond à leurs prières. Ils savent que Dieu est amour et qu’ils tombent dans le péché. Ils croient au paradis et à l’enfer.

Mais avant de parler du Messie, je crois que le meilleur point de départ est l’assurance du pardon. À l’époque du Tabernacle et du Second Temple, un sacrifice permettait de pardonner les péchés pour un an. Mais aujourd’hui, il n’y a ni temple, ni autel, ni grand prêtre.

Le Talmud décrit que l’un des grands rabbins, Yohanan Ben Zakkai, dont le disciple lui demanda s’il savait qu’il irait au paradis, répondit ceci : « Je ne suis pas sûr d’en avoir fait assez. » Nous devons être très prudents à l’égard des juifs orthodoxes ; ils n’aiment pas moins Dieu que nous. Mais nous pouvons les interroger : Pouvez-vous atteindre Dieu en grimpant l’échelle de la justice ?

Est-il vrai que les orthodoxes sont les plus hostiles aux juifs messianiques ?

Cela vient d’un petit groupe radical qui considère que nous essayons de les convertir au christianisme. Cependant, ils ne cherchent pas à nous faire du mal, mais à nous sauver. J’essaie d’amener les Juifs à Yeshoua, mais ils voient cela comme un effort pour réussir là où Hitler a échoué.

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Nous devons être honnêtes : pour s’attirer la sympathie, certains juifs messianiques diabolisent les orthodoxes, ce qui n’est pas correct. Il est vrai qu’ils ne nous aiment pas. Mais nous insistons sur le fait que nous ne cherchons pas à convertir les Juifs au christianisme, mais à les amener à leur Dieu, en espérant et en priant pour qu’ils reconnaissent leur Messie. Paul disait qu’il aurait été prêt à être effacé du livre de vie pour le bien de ses frères. C’est l’attitude que nous devons adopter pour chaque personne, qu’elle soit juive, chinoise ou autre.

La Croix est déjà un obstacle. N’en mettons pas d’autres sur leur chemin.

Comment comprenez-vous leur identification au verset d’Ésaïe 66.2 ?

Il y a là une bonne description de ce qu’ils croient être. Ils considèrent leur communauté comme la tribu de Lévi, qui n’a pas combattu lorsque le peuple d’Israël est entré dans le pays sous la direction de Josué. Comme les Lévites, ils se consacrent aux rituels religieux qui soutiennent l’armée engagée sur les lignes de front.

Nous qui croyons ce que dit la Bible, nous pouvons accorder une certaine valeur à cet attachement à la piété. Les haredim disent que, s’ils quittent la yeshiva, Israël ne pourra pas réussir dans ses entreprises sans leurs prières. Ils se considèrent comme des sentinelles sur le mur, priant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour Israël. Les chrétiens qui s’engagent aujourd’hui dans des mouvements de prière 24 heures sur 24 devraient savoir que les haredim le faisaient bien avant eux.

Qu’en est-il de Lévitique 26.3 ?

Ce verset est en correspondance avec la mission confiée à Israël dans Deutéronome 11, avec la montagne de la bénédiction et la montagne de la malédiction. Selon l’alliance mosaïque, si vous voulez obtenir la bénédiction de Dieu, vous devez respecter les commandements. Mais lisez aussi ces passages à la lumière du Psaume 1.3 : la personne qui prospère est celle « qui médite sa loi jour et nuit ». Allez dans n’importe quelle yeshiva et vous verrez des haredim étudier la Torah jusque tard dans la soirée. Ils pensent ainsi sauver Israël et gagner la faveur de Dieu.

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En ce qui concerne l’application que font les haredim de ces versets à l’encontre de leur enrôlement dans l’armée, je peux comprendre leur point de vue. Mais je crois que la faveur de Dieu ne vient que par le Messie. Comme les Juifs ne reconnaissent pas la nouvelle alliance de Jérémie 31, leur quête d’épanouissement dépend du Psaume 1.

Ils prennent la Bible très au sérieux. J’aimerais que le monde chrétien soit aussi dévoué.

Mais leur interprétation est-elle correcte ?

Les juifs laïques ne sont clairement pas d’accord. La plupart des Israéliens sont traditionnels, mais cela ne signifie pas qu’ils lisent leur Bible tous les jours. Selon eux, avec 24 heures dans une journée, les haredim peuvent trouver un moyen d’étudier les Écritures tout en servant dans l’armée. Il n’est pas juste, disent-ils, que j’envoie mon fils ou ma fille au front alors qu’ils sont assis à la yeshiva — surtout en cette période de guerre.

Pourtant, vous croyez au pouvoir de la prière.

Oui, mais différemment. Le retour du peuple juif en Israël n’est ni une coïncidence ni le résultat de nos efforts. En Ézéchiel, Dieu dit qu’il ramènera les Juifs sur leur terre, même s’ils ont profané son nom parmi les nations. Ce n’est pas que notre peuple ait atteint un certain niveau spirituel et que Dieu ait été impressionné. Dieu a fait cela pour montrer au monde qu’il est fidèle à sa parole.

Le retour des Juifs en Israël est la meilleure preuve que la Bible est vraie.

Et si Dieu nous a ramenés sur cette terre, je ne crois pas qu’il nous renverra ensuite dans la mer. C’est ma prière, mais la sécurité d’Israël ne dépend pas de ce qui se dit dans les yeshivas, mais des promesses de Dieu.

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Lorsqu’une femme orthodoxe se rend au mur et prie pour ses enfants, Dieu lui répond-il ? Oui, dans sa miséricorde. Mais lorsque nous, croyants en Yeshoua, nous présentons devant le trône de Dieu, il nous répond dans sa grâce. La différence est énorme, car nous sommes sous les promesses de la nouvelle alliance.

Lorsque le prince William entre dans le palais du roi Charles, il n’est pas nourri parce que les serviteurs ont pitié de lui. C’est le cas pour le mendiant. Mais William est servi en raison de son statut. Comme lui, nous sommes des fils et des filles du Roi.

Je respecte les prières des haredim. Mais la rédemption d’Israël ne viendra pas de là.

Mais si ces prières peuvent attirer la miséricorde de Dieu, Israël n’aurait-il pas raison d’exempter les haredim du service militaire pour leur permettre de s’y consacrer pleinement ?

Ce n’est pas une question spirituelle, mais politique. En tant que juif messianique, je crois que Dieu peut répondre à leurs prières lorsqu’ils combattent dans l’armée, comme le font mes enfants.

Mais les haredim s’y opposent également parce que l’armée tend à séculariser la société et à supprimer les distinctions entre les communautés. La structure de l’armée ne leur convient pas encore. L’armée israélienne doit procéder à des changements majeurs pour les accueillir, en leur offrant une nourriture adaptée, en faisant appel à leurs rabbins en tant qu’aumôniers et en séparant les sexes. Nous devons être justes, et si l’armée les veut vraiment, elle doit changer — et pas pousser pour changer les haredim. Il faudra un processus pour gagner leur confiance.

Bien que l’armée ait entamé ce travail, il reste encore beaucoup à faire.

Ben Gourion a-t-il commis une erreur en accordant l’exemption ?

C’était un sioniste laïc et socialiste, mais il comprenait que les haredim faisaient partie de la nation. Comme ils étaient peu nombreux, il les a laissé prier. Mais aujourd’hui, ils représentent un pourcentage important de la population. Pour être honnête, la controverse ne porte pas fondamentalement sur l’enrôlement de leurs quelques milliers d’enfants dans l’armée. Il s’agit de leur pouvoir.

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Notre système de coalition politique leur permet actuellement de contrôler le parlement ; aucun gouvernement ne peut être formé sans eux. Grâce à ce levier, ils demandent tout ce qu’ils veulent. Il ne s’agit pas seulement de l’enrôlement. Pourquoi les haredim devraient-ils être payés pour étudier à la yeshiva, disent beaucoup, alors que je dois payer pour que mon enfant aille à l’université ? Certains haredim prennent l’État pour une vache à lait.

Ils commettent une grave erreur. Ils pourraient plutôt proposer de faire du volontariat dans le cadre du service national dans les hôpitaux, dans les écoles ou auprès de Magen David Adom, l’équivalent de la Croix-Rouge en Israël. Au lieu de cela, les gens en viennent à se dire : « S’il y a un Dieu, je ne veux pas être comme ça. »

En Israël, quand quelqu’un cherche Dieu, il va à la synagogue. Ce sera peut-être une chance pour le mouvement messianique, que les gens trouvent en nous une option supplémentaire.

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