Il y a une dizaine d’années, j’assistai aux funérailles d’une femme de foi que ma famille et moi connaissions depuis très longtemps. Cette amie de longue date était décédée après avoir lutté contre un cancer. Les adieux furent douloureux. C’était une de ces personnes dont la tendresse adoucit un peu ce monde.

Lors de ces funérailles dans notre ville natale du centre ouest du Brésil, j’entendis les gens dire qu’elle était tombée malade à cause de son chagrin et qu’enfin elle allait pouvoir se reposer. J’ai fini par comprendre ce que j’étais alors trop jeune pour saisir : jusqu’au jour de sa mort, elle avait souffert dans une relation conjugale abusive.

Qu’est-ce qui avait poussé notre amie à endurer cette relation froide et toxique ? Non seulement la croyance que son mari changerait un jour, mais aussi la conviction que, si elle divorçait, elle courait le risque de perdre son salut.

Malheureusement, elle croyait que Dieu souhaitait qu’elle reste fidèlement mariée malgré les abus. Ses pasteurs ne firent que l’encourager dans cette voie. Ils lui conseillaient de continuer à jeûner, à prier et à s’investir pleinement dans son mariage. Ce qu’elle fit jusqu’à sa mort.

Exiger de quelqu’un qu’il se soumette au fardeau de la violence conjugale équivaut à le condamner à une mort lente et douloureuse au fil d’années d’abus de pouvoir destructeurs. Certes, l’appel à « mourir chaque jour à nous-mêmes » s’étend à nos relations personnelles et implique un certain degré de don de soi. Mais on ne peut déformer les Écritures au point d’assimiler cette abnégation au fait d’endurer la violence conjugale. Il y a une différence cruciale entre ces deux types de « mort » : l’une est enracinée dans l’amour parfait, l’autre trouve son origine dans un péché destructeur.

Le fardeau conjugal

Pour justifier leurs encouragements à ce qu’une épouse tienne bon dans le cadre d’un mariage violent et destructeur, j’ai souvent entendu des pasteurs et responsables chrétiens citer 1 Pierre 3.1-2 : « Vous de même, femmes, soumettez-vous à votre mari. Ainsi, ceux qui refusent de croire à la parole pourront être gagnés sans parole par la conduite de leur femme, en observant votre manière de vivre pure et respectueuse. »

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Dans ces versets, Pierre s’adresse à des femmes qui croient en Dieu, mais sont mariées à un non-chrétien. L’apôtre leur explique qu’elles ont l’occasion, par leur manière d’être, de témoigner de leur foi à leur mari. À aucun moment il ne dit à ces femmes de se soumettre à des maris violents — souvent chrétiens ! — pour qu’ils soient ainsi conquis par leur seule conduite. C’est pourtant un raisonnement que j’ai souvent entendu.

Au contraire, la Bible condamne la violence conjugale, comme le montre Malachie 2.16 : « car je déteste le divorce, dit l’Eternel, le Dieu d’Israël, et celui qui couvre son habit de violence, dit l’Eternel, le maître de l’univers. » Il est intéressant de relever que dans le verset où Dieu déclare haïr le divorce, il dit aussi clairement sa haine de la violence.

Un mariage fondé sur la soumission à un comportement abusif n’a rien à voir avec la piété et la Parole de Dieu. Il n’y est pas question de lien d’amour : j’y vois plutôt la flèche qui retient au mur l’animal transpercé. Lorsqu’un prédateur feint l’amour en demandant pardon à grands renforts de démonstrations émotionnelles et promet de changer, il ne fait que tenter de masquer la puanteur de la décomposition que son péché inflige à son mariage.

Mais comment différencier les fruits d’une relation abusive de l’abnégation nécessaire dans tout mariage chrétien ? Dans le second cas, les deux conjoints suivent les paroles de Jésus, qui leur demande de renoncer à eux-mêmes et de prendre leur croix. Dans le mariage, chaque partenaire renonce aux pulsions et désirs qui entravent le chemin de son amour pour l’autre. De cette mort à eux-mêmes découle une vie de résurrection qui porte de beaux fruits.

Qui est responsable ?

Malgré des propos clair des Écritures, j’ai rarement vu des responsables d’Église demander des comptes à des maris violents pour l’état de leur mariage. Beaucoup soutiennent plutôt que le divorce est une tragédie à éviter à tout prix, qui constituerait un péché trop grave.

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Souvent, ces responsables applaudiront une femme qui tient bon dans un mariage abusif et agit à leurs yeux comme une « bonne épouse » en persévérant dans l’épreuve. Puisque Dieu peut transformer les gens, certains pensent qu’une épouse a la responsabilité de changer son mari et que sa persévérance sera récompensée lorsqu’il changera enfin. Tout cela leur semble bien plus vertueux que de « simplement divorcer ».

Trop souvent, des chrétiens pensent ainsi que la femme doit considérer une situation abusive comme l’occasion de montrer sa foi et sa vertu et qu’une croyante fidèle ne peut demander le divorce. Mais mettre la responsabilité d’un divorce sur le dos de l’épouse dans les cas de violences domestiques transfère à celle-ci la responsabilité des actes destructeurs de son mari. Faire porter à une épouse la responsabilité spirituelle de son mari, c’est lui demander de faire le meilleur de ce qu’il y a de pire en lui. Autrement dit : prendre elle-même en charge ce qui est l’œuvre de Jésus. C’est ainsi sur elle que sont reportées les souffrances du changement.

L’idée qu’il appartiendrait spécifiquement aux femmes de supporter une relation conjugale abusive n’est pas seulement immorale, mais aussi directement contraire au texte biblique. Elle va à l’encontre de l’idéal du mariage décrit par Paul dans Éphésiens 5.25-28, où l’époux est invité à aimer son épouse comme le Christ a aimé l’Église, donnant sa vie pour elle. La norme biblique est que c’est d’abord de l’époux que Dieu attend un amour sacrificiel. L’alliance biblique ne s’inscrit pas sous le signe de la prédation, mais bien de la vie nouvelle où le don de soi s’inspire du sacrifice du Christ.

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Dieu peut restaurer l’être intérieur de chaque être humain, même d’un homme violent ou adultère. Mais cet homme doit assumer les conséquences de ses actes, et il vaut souvent mieux que son renouvellement intérieur ne se fasse pas là où vivent ceux qu’il a blessés. Jésus a déjà porté nos souffrances, et la transformation intérieure est l’œuvre de l’Esprit saint. Aucune femme ne devrait dès lors risquer sa vie par amour de l’âme d’un être humain, pas même celle de son propre mari.

Un changement bienvenu

Au début de l’année, Christianity Today publiait un article sur une Église américaine dont les responsables avaient conseillé aux victimes de violences domestiques de ne pas divorcer. L’histoire était déchirante, mais les réactions des lecteurs ont révélé que de nombreux chrétiens considèrent désormais cette manière d’agir comme inappropriée. On comprend à l’heure actuelle que, même si ce comportement était considéré comme « normal » ou acceptable dans le passé, il ne l’est pas. La question à se poser aujourd’hui n’est peut-être pas seulement « Comment en sommes-nous arrivés là ? », mais plutôt « Comment avons-nous pu accepter si longtemps ce genre de situation ? » et « Comment pouvons-nous changer cela pour de bon ? »

En 2019, dans le cadre d’une polémique dans le monde évangélique concernant l’attitude à adopter face à la violence faite aux femmes, le théologien complémentariste Wayne Grudem exposait sa réinterprétation de 1 Corinthiens 7.15. Après près de 40 ans de ministère, une nouvelle clé herméneutique lui avait permis de reconnaître la violence et les abus comme causes de divorce (en plus de l’adultère et de la désertion du foyer). Pour moi qui avais accompagné des victimes de violence domestique pendant des années, ce changement important fut le bienvenu.

Conseiller aux femmes de rester mariées alors qu’elles ne savent pas si elles seront encore en vie le lendemain ne contribuera certainement pas à préserver l’institution du mariage. Dire à des femmes désemparées qu’il existe des arguments bibliques en faveur de ce type de soumission, revient à pervertir la Parole pour maintenir les apparences trompeuses et superficielles d’une alliance conjugale déjà rompue.

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Comme l’écrivait l’an dernier Russell Moore, « Si l’un des conjoints abandonne le foyer, la Bible ne considère pas qu’il y a là une faute de la partie innocente. Et si un conjoint fait du foyer un endroit dangereux pour l’autre (ou leurs enfants), ce n’est pas non plus la faute de la partie innocente. Dans ces cas, le divorce n’est pas un péché, mais avant tout la reconnaissance de ce qui est déjà un fait avéré : l’alliance, l’union d’une seule chair est dissoute. Et le conjoint abusé ne devrait ressentir aucune condamnation en divorçant. »

Ma prière la plus fervente est que les femmes souffrant de violence conjugale puissent trouver réconfort et soutien auprès de leurs responsables d’Église et, lorsque ce soutien leur fait défaut, qu’elles puissent expérimenter la protection du Père. Il y a un Dieu qui les voit (Gn 16), et qui n’exige pas d’elles qu’elles fassent perdurer des alliances de mort. Au contraire, il est venu pour qu’elles aient la vie et qu’elles l’aient en abondance (Jn 10.10). Dieu n’a pas besoin qu’une femme meure ou soit battue en sacrifice pour la vie d’un homme. Le Christ a déjà accompli l’offrande ultime (Hé 10.12-14).

Bruna Santini a travaillé dans le domaine du droit de la famille et a accompagné des victimes de violence domestique au Brésil et aux États-Unis, où elle vit aujourd’hui avec sa famille. Elle poursuit actuellement un cursus de master en études théologiques au Séminaire théologique réformé d’Atlanta.

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