Quel est le problème avec la théologie à l’heure actuelle ? Loin de la série de vertus qui constituent le fruit de l’Esprit, une grande partie de ce que l’on appelle « théologie » relève d’une insécurité et d’une colère masquées sous des apparences de dialogue ou de réflexion. Si l’on se référait simplement aux réseaux sociaux, on conclurait aisément qu’il faut être en colère pour faire de la théologie. On la voit bien souvent davantage sous les traits d’une arme que d’une source de joie.

Ainsi, peut-être faites-vous partie de ceux qui ont vu la théologie utilisée comme instrument de division. Dans cette mauvaise pratique de la théologie, la vérité chrétienne est utilisée pour monter les frères et sœurs les uns contre les autres. Les divers points de doctrine deviennent les lignes de démarcation autour desquelles se joue une guerre entre « nous » et « eux ». Et s’il est vrai qu’il faut parfois placer certaines limites, les frontières théologiques de certains ne cessent de se rétrécir au point que seuls eux et une poignée de leurs partisans peuvent être considérés comme détenteurs de la vérité.

La théologie se transforme ainsi en source de discorde et se retrouve utilisée pour rompre l’unité entre les porteurs de l’image de Dieu appelés à marcher ensemble vers la Terre promise.

Peut-être avez-vous aussi vu la théologie mise au service de l’orgueil. Dans cette mauvaise pratique de la théologie, l’accumulation de connaissances ne fait que gonfler les égos et la recherche de la vérité n’est qu’une quête d’affirmation de soi. Lorsque les flots de l’arrogance se déversent de la source d’une théologie mal utilisée, la recherche du bien de nos prochains est remplacée par la quête de leur approbation.

Au lieu d’orienter notre vie intellectuelle en faveur des autres, nous orientons les autres vers l’admiration de nos capacités intellectuelles dans l’espoir d’obtenir les louanges qui devraient revenir au Seigneur. De cette manière, la théologie peut devenir une véritable scène de théâtre ; les théologiens ne sont que des acteurs sur la scène doctrinale, espérant que leur articulation d’un concept théologique ou le style de leur expression divertira le public.

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Peut-être avez-vous vu la théologie utilisée comme un substitut de la sanctification et de la sagesse. Il est tentant de confondre la clarté et l’assurance théologiques avec la sagesse chrétienne. Cependant, une consécration sincère au Seigneur ne se mesure pas à l’aune de notre capacité à mémoriser le jargon et la logique théologique.

Dieu peut utiliser la théologie comme moyen de sanctification, et il semble qu’il soit souvent heureux de le faire. Cependant, l’intelligence théologique n’est pas une raison valable pour minimiser ou négliger le rôle vital de l’intelligence émotionnelle, relationnelle, culturelle, etc.

La sanctification chrétienne est holistique, et si la théologie en est un ingrédient nécessaire, elle reste en elle-même insuffisante. La vie chrétienne exige une maturité et une sagesse qui comportent de multiples facettes, nous invitant à aimer le Seigneur non seulement de tout notre esprit, mais aussi de tout notre cœur, de toute notre âme et de toute notre force (Dt 6.4-7 ; Mt 22.37-40).

L’Écriture nous montre que la vie de l’esprit peut effectivement conduire à une vivification de l’âme dans la manifestation du fruit de l’Esprit. La tâche glorieuse de la contemplation chrétienne devrait en effet conduire à l’amour, à la joie, à la paix, à la patience, à la bienveillance, à la bonté, à la fidélité, à la douceur et à la maîtrise de soi. La théologie comme moyen de cultiver la vertu chrétienne, dans la lignée du fruit de l’Esprit, n’est pas une idée nouvelle.

Augustin déclarait : « car telle est la plénitude de notre joie, que rien ne surpasse : jouir de Dieu, la Trinité, à l’image de laquelle nous avons été créés. » Nous pouvons alimenter notre joie d’innombrables façons : famille, nourriture, engagement, voyages, biens, expériences, et bien d’autres choses encore. Mais le carburant le plus fondamental du feu de notre joie, c’est le Dieu trinitaire « à l’image [duquel] nous avons été créés ».

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La jouissance du Dieu trinitaire est la plus pure de toutes. Les autres joies ne font que passer. Comme l’herbe se dessèche et les fleurs se fanent, les joies de ce monde sont nôtres aujourd’hui et auront disparu demain (És 40.8). Notre Dieu, lui, est le même hier, aujourd’hui et éternellement (Hé 13.8), de sorte que la joie trouvée en lui est une joie inébranlable et pure.

Cependant, comme l’a si bien formulé Jen Wilkin dans Femmes de Parole : « Le cœur ne peut pas aimer ce que l’intelligence ne connaît pas. » Si nous voulons permettre à nos cœurs de vivre dans la joie que procure l’amour du Dieu trinitaire, nous devons nous attacher à le connaître. Votre pensée et vos affections sont plus liées que vous ne le pensez. Ce que vous contemplez avec persévérance, vous apprendrez à l’aimer de même.

Thomas d’Aquin écrivait : « Toute notre vie porte du fruit et s’accomplit dans la connaissance de la Trinité. » Pour lui, la connaissance de la théologie porte du fruit. Passer du temps aux pieds du Seigneur par la pensée a des conséquences : toute votre vie commencera à porter du fruit.

La contemplation du bien, du vrai, du beau — culminant tous dans notre Seigneur — a la capacité de transformer la haine en amour, le désespoir en joie, la division en paix, l’anxiété en patience, l’animosité en bienveillance, la méchanceté en bonté, la désobéissance en fidélité, la dureté en douceur, et le laisser-aller en maîtrise de soi.

La question à se poser est donc simple : la façon dont vous pensez à la théologie, dont vous faites de la théologie ou dont vous parlez de la théologie conduit-elle généralement à l’amour, à la joie, à la paix, à la patience, à la bienveillance, à la bonté, à la fidélité, à la douceur et à la maîtrise de soi ? Ou bien la façon dont vous pensez à la théologie, faites de la théologie ou parlez de la théologie conduirait-elle plutôt à l’impureté morale, à l’idolâtrie, à la haine, aux querelles, à la jalousie, aux explosions de colère, à l’ambition égoïste, à la dissension, à la division et à l’envie ?

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Lorsque les théologiens se laissent aller, leur zèle se retrouve dirigé les uns contre les autres. Au lieu de joindre leurs forces pour propager l’Évangile en tant que compagnons de travail, ils se lancent dans des tirs fratricides, héros d’une guerre imaginaire qui ne connaît aucun gagnant.

La théologie pratiquée selon les œuvres de la chair se caractérise par des querelles, des accès de colère, des dissensions et des divisions. La théologie ainsi pratiquée conduit à se dévorer les uns les autres. Au contraire, la théologie pratiquée dans le fruit de l’Esprit — qui se caractérise par l’amour, la bonté, la douceur et la joie — conduira à porter les fardeaux les uns des autres et à aimer notre prochain comme nous-mêmes.

La différence radicale entre ces différents débouchés démontre l’importance de la tâche à accomplir : la théologie mal employée peut en effet avoir de bien tristes résultats, mais la théologie correctement pratiquée stimule au plus profond de notre âme les vertus qui constituent le fruit de l’Esprit, de sorte à faire de nous des chrétiens marqués par la sagesse et la stabilité.

Trois passages de l’apôtre Paul (Ph 4.8 ; Rm 12.2 ; 2 Co 3.18) pourraient être résumés en une seule phrase : Contemplez la bonté, la vérité et la beauté de Christ et, ce faisant, laissez-vous transformer de gloire en gloire par le renouvellement de votre intelligence. Ou, pour reprendre les termes de Paul : Réfléchissez à ces choses, et soyez transformés en les contemplant.

Réfléchir à ces choses (Ph 4.8). Vous possédez quelque chose d’extrêmement précieux : votre attention. Le monde la veut, et il vous en fera voir de toutes les couleurs pour l’obtenir. Il y a des gens dont le travail principal est de maintenir et d’améliorer continuellement des algorithmes sophistiqués pour garantir que votre attention restera fixée sur votre téléphone.

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Dans le très perspicace Se distraire à en mourir, Neil Postman avertit à juste titre que nous sommes en grand danger de n’être plus que des spectateurs de cette vie. Le monde devient une scène. Votre regard et votre attention sont la marchandise qu’il convoite.

Pour cette raison et pour d’innombrables autres, la conclusion de la lettre de Paul aux Philippiens est tout aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était dans la ville de Philippes au premier siècle. Paul recommande aux saints de Philippes : « Enfin, frères et sœurs, portez votre attention sur tout ce qui est honorable et digne de louange : sur tout ce qui est vrai et mérite d’être respecté, tout ce qui est juste et pur, tout ce qu’on peut apprécier et estimer. » (Ph 4.8, NFC, italiques ajoutés)

Ce que Paul a compris, et ce que nous devons comprendre, c’est que tout ce à quoi nous accordons notre attention nous forme en tant que personnes. Si notre esprit reste fixé sur les événements toujours changeants et de plus en plus superficiels de notre culture, nous continuerons à décliner dans notre sagesse et notre raisonnement en tant que disciples du Christ. Cependant, si nous laissons le commandement de Paul intégrer nos vies et gardons la maîtrise de nous-mêmes pour regarder par-delà l’éventail étourdissant de distractions qui nous entourent, posant un regard ferme et soutenu sur ce qui est bon, vrai et beau, nous pouvons être transformés en hommes et femmes sages et stables.

Être transformés (Rm 12.2). Dans son Épître aux Romains, Paul écrit : « Ne prenez pas comme modèle le monde actuel, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour pouvoir discerner la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait. » (Rm 12.2, BDS, italiques ajoutés)

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La contemplation de Dieu dans la théologie chrétienne n’est pas une simple question d’intellect. Porter son attention sur Dieu et sur tout ce qui est en relation avec lui nous conduit à contempler celui qui est l’amour. Ce faisant, nous serons transformés par le renouvellement de notre esprit. Un esprit empli de la vérité débouche sur un cœur plein d’amour et des mains œuvrant pour le bien.

Contempler la gloire du Seigneur (2 Co 3.18)

Dans ce glorieux chapitre, Paul met en contraste les saints de l’Ancienne Alliance avec ceux de la nouvelle. Il rappelle la scène où Moïse, après avoir vu la bonté du Seigneur dans Exode 33, descend du mont Sinaï le visage voilé pour ne pas effrayer les autres Israélites. Paul dit que lire l’Ancienne Alliance sans Christ revient à essayer de regarder Dieu à travers un voile, comme Moïse. Au contraire, voir Dieu dans le visage de Jésus-Christ, c’est comme voir Dieu à visage découvert et pouvoir contempler sans entrave sa beauté et sa splendeur.

Paul écrit : « Nous tous qui, le visage dévoilé, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, de gloire en gloire ; telle est l’œuvre du Seigneur, qui est l’Esprit. » (2 Co 3.18, italiques ajoutés)

Ce passage est d’une beauté saisissante. Si la théologie chrétienne a de nombreux bienfaits concrets, l’un des plus importants est tout simplement la possibilité de contempler la gloire de Dieu. L’une des choses les plus terre-à-terre que vous puissiez faire dans votre vie — à l’encontre de l’idée que la théologie serait un passe-temps déconnecté des réalités — est de prendre le temps de contempler la grandeur et la grâce de Dieu.

S’il nous faut continuellement chercher à mettre en pratique notre théologie et nous poser des questions telles que « Comment vivre cette vérité aujourd’hui ? », nous ne devons pas oublier qu’il y a déjà une immense sagesse à simplement contempler le grand Dieu qui est le nôtre. Dans cette contemplation, nous commençons à lui ressembler, et sommes transformés de gloire en gloire.

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Ronni Kurtz est auteur et professeur adjoint de théologie à la Cedarville University. Ce texte est la traduction d’un extrait adapté de Fruitful Theology: How the Life of the Mind Leads to the Life of the Soul (B&H Publishing, © 2022). Utilisé avec autorisation.

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