Une grande partie de la vie adulte de Terry LeBlanc a été guidée par une question : peut-on pleinement vivre sa culture autochtone tout en étant pleinement disciple de Jésus ?

Sa réponse est un oui retentissant.

Au cours des trois dernières décennies, il a mis en place, avec d’autres, un séminaire destiné à offrir une formation théologique aux populations autochtones des États-Unis, du Canada et du monde entier, afin qu’elles puissent elles aussi répondre par l’affirmative.

Le NAIITS, anciennement connu sous le nom de North American Institute for Indigenous Theological Studies, a été fondé en 1998 avec la vision de voir « des hommes et des femmes s’engager sur la voie d’une relation vivante avec Jésus d’une manière transformatrice qui n’exige pas le rejet de l’identité sociale et culturelle que leur a attribué le Créateur. » En 2021, l’institution est devenue la première école autochtone américaine à recevoir une accréditation complète de l’Association of Theological Schools. Le NAIITS peut désormais proposer divers masters en théologie (MA, MTS et MDiv), ainsi que des doctorats en théologie chrétienne autochtone.

L’année dernière, le NAIITS a reçu pour cela deux subventions d’une valeur totale de 6 millions de dollars de la part de la fondation Lilly Endowment. L’école utilisera 1 million de dollars pour développer un programme de master en accompagnement spirituel des traumatismes. Les 5 millions de dollars restants serviront à créer la Communauté d’apprentissage canadienne pour la décolonisation et l’innovation, un projet mené en collaboration avec quatre autres universités.

Terry LeBlanc, qui est mi’kmaq-acadien et titulaire d’un doctorat du Séminaire théologique d’Asbury, explique que le NAIITS cherche à enseigner comment réimaginer la relation entre foi et culture. À ses yeux, le terme académique qui se rattache à cet exercice, décolonisation, ne signifie pas une minimisation de la puissance de Jésus ou de l’Évangile, mais un espace offert aux perspectives autochtones et à la possibilité de voir l’identité et la culture autochtones comme un don de Dieu plutôt que comme quelque chose à rejeter d’un bloc.

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« On part souvent du principe que les cultures autochtones sont négatives et qu’il faut les laisser de côté », observe-t-il. « Toute théologie est culturellement liée et marquée, et aucune n’est idéale ou parfaite. Mais nous étions convaincus que nous pouvions nous aussi intégrer notre foi dans notre culture et notre identité. »

Lors du 20e symposium annuel de l’école, en juin dernier, des universitaires et des responsables d’Églises ont ainsi pu observer la manière dont la foi chrétienne peut s’exprimer à travers la musique autochtone. Historiquement, certains chrétiens condamnaient l’utilisation de tambours traditionnels, estimant qu’ils étaient intrinsèquement marqués par le péché. Les enseignants du NAIITS pensent eux qu’ils peuvent contribuer à proclamer l’Évangile et adorer Dieu.

Lors de ce rassemblement, dans la province canadienne du Manitoba, un professeur a enseigné aux participants un chant de louange autochtone au son des tambours et des maracas. Les gens chantaient avec lui : « Jésus est un bon remède/un bon remède, ah hey. »

Le NAIITS a également fêté 11 diplômés lors de ce symposium. L’école fonctionne selon un calendrier trimestriel, les étudiants suivant des cours en ligne pendant deux trimestres et participant au troisième en présentiel. Le trimestre en présentiel se déroule dans trois institutions partenaires — l’Acadia Divinity College en Nouvelle-Écosse, le Tyndale University and Seminary à Toronto et la Kairos University dans le Dakota du Sud — de sorte que le NAIITS n’a pas besoin de gérer son propre campus physique. Le NAIITS est également partenaire de la Meachum School of Haymanot dans le Missouri et du Sydney College of Divinity en Australie.

Le fait que l’enseignement soit essentiellement virtuel permet aux étudiants de rester dans leur propre communauté, ce qui est moins onéreux et génère moins de perturbations. Le NAIITS souhaite que les diplômés s’installent dans des relations en profondeur pour mieux exercer leur ministère dans leur propre contexte. En même temps, ils se rapprochent suffisamment les uns des autres pour établir des liens.

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« C’est une communauté — nous partageons notre vie », explique Terry LeBlanc. « Il ne s’agit pas seulement d’études. Il ne s’agit pas non plus d’un simple rassemblement d’autochtones en vue d’une fête de l’amitié. »

Tandis que le NAIITS élargit sa vision et sa portée, son leadership se développe et se transforme également. LeBlanc, directeur fondateur de l’école, va devenir directeur émérite et rejoindra les anciens du NAIITS en compagnie de son épouse, Bev.

La direction du NAIITS est reprise par Shari Russell, une Saulteau (des Anichinabés) de la Première nation de Yellow Quill, à la Saskatchewan. Également officière de l’Armée du Salut, celle-ci est un exemple de la manière dont le NAIITS espère aider les gens à réconcilier leur foi et leur culture.

« Je ne savais pas ce que pouvait signifier être autochtone et disciple de Jésus », explique-t-elle. « Et puis j’ai rencontré ces gens. Ça a vraiment été un voyage merveilleux. »

Lorsqu’ils étaient enfants, Shari Russell et deux de ses frères et sœurs ont été enlevés à leur foyer dans la réserve — séparés de leur famille et de leur communauté — et placés dans le système de protection de l’enfance. C’est ce que l’on appelle au Canada la « Rafle des années 60 », qui s’inscrit dans la longue et brutale histoire des tentatives des chrétiens canadiens blancs d’apporter leur « aide » en éradiquant la culture autochtone.

Cette histoire a donné à de nombreuses personnes, comme Russell, le sentiment qu’elles devaient choisir : si elles voulaient suivre Jésus, elles devraient s’assimiler complètement à la culture chrétienne occidentale. Si elles voulaient préserver leur identité autochtone, elles devaient rejeter Jésus.

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Le NAIITS propose de réconcilier les deux, qui n’ont en réalité jamais été opposés. Pour des personnes comme Shari Russell, le NAIITS offre un espace pour retrouver et réapprendre les parties de leur identité et de leur culture qui leur ont été enlevées.

« Cela a été un processus, même pour certains des fondateurs », dit Russell, qui a retrouvé sa famille et a rejoint le NAIITS en 2002. « Beaucoup de gens ont été blessés par le passé. Mais les gens viennent au NAIITS parce que c’est différent. »

Danny Zacharias, professeur de Nouveau Testament au NAIITS, qui a rencontré LeBlanc alors qu’il préparait son doctorat, se souvient du jour où ce dernier l’a incité à placer son identité autochtone au centre de ses préoccupations, en tant que personne et en tant que chrétien.

« Ce n’était pas quelque chose auquel on accordait de l’importance », raconte Zacharias, issu des peuples cri et anichinabé du côté de sa mère. « On nous a même parfois dit que c’était démoniaque. »

Mais Zacharias, qui a été ordonné par les baptistes canadiens des Provinces de l’Atlantique, s’est rendu compte que LeBlanc avait raison. La mise en lien de son identité chrétienne et de son héritage culturel l’a transformé.

« Les croyants autochtones diraient : “Je suis chrétien autochtone”, et non pas “simplement chrétien”. » « Il s’agit à la fois de décoloniser la théologie et de repenser ce qui vient avec le message chrétien. »

Un autre membre du corps enseignant, Kimberlee Medicine Horn Jackson, poétesse sioux de Yankton et professeure d’écriture, considère que la communauté du NAIITS est spéciale en raison de son leadership autochtone.

« Dans le courant dominant, la plupart des universitaires qui s’exprimaient [sur le sujet] n’appartenaient pas à ces communautés autochtones », dit Jackson, qui est également doctorante au NAIITS. « Lorsque les choses se passent ainsi, cela crée une certaine déconnexion. »

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Depuis le début, ce sont des autochtones qui dirigent le NAIITS et y enseignent. L’école accueille également des étudiants non autochtones, mais leur nombre total est plafonné.

Selon Shari Russell, une partie de la mission du NAIITS consiste à créer un espace où les autochtones peuvent faire de la théologie. Mais l’objectif est d’aller plus loin. Les théologies autochtones remettent en question « le cadre occidental dans lequel s’inscrit souvent la théologie chrétienne ».

Elle remarque par exemple que de nombreuses approches théologiques chrétiennes commencent avec la chute en Genèse 3, lorsque le péché entre dans le monde et sépare l’humanité de Dieu. Les théologiens autochtones, quant à eux, partent davantage de la beauté et de la bonté de la création de Dieu.

Selon elle, une communauté d’apprentissage qui cultive ce type d’idées ne conduit pas seulement à la guérison et à l’épanouissement de nombreux chrétiens autochtones — pleinement autochtones, pleinement disciples du Christ — mais elle peut aussi être une bénédiction pour l’Église dans son ensemble.

« La valeur ajoutée que les visions du monde et les épistémologies autochtones apportent à notre manière de vivre en tant que disciples du Christ est parfois négligée », estime la directrice associée. « Mais il y a bien des choses que nous devons apporter et qui, je pense, renforceront tout le corps du Christ. »

Hannah McClellan est journaliste en Caroline du Nord.

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