Les chrétiens orthodoxes commémorent l’archevêque métropolitain Kallistos Ware, qui s’est endormi dans le Seigneur à l’aube du mercredi 24 août dernier en Angleterre à l’âge de 88 ans. En tant qu’évangéliques, nous avons également là une perte à déplorer et une raison de prier — comme le font les orthodoxes lors des funérailles — « Que sa mémoire soit éternelle ».

Né Timothy Ware en 1934 et élevé dans une famille anglicane, Kallistos Ware s’était converti à l’âge de 24 ans et était devenu l’un des théologiens orthodoxes orientaux les plus influents du monde anglophone au 20e et au début du 21e siècle.

Les livres les plus célèbres de l’évêque Kallistos, qui a également été édité en français, sont The Orthodox Church, un manuel d’introduction de référence depuis près de 60 ans, The Orthodox Way et sa contribution à la traduction en anglais de la Philocalie, un texte classique de spiritualité orthodoxe. Il fut Spalding Lecturer en études orthodoxes orientales à l’Université d’Oxford pendant 35 ans, jusqu’à sa retraite en 2001, et nombre de ses doctorants sont parvenus à des postes influents.

Après Oxford, il continua à publier, mais consacra les dernières années de sa vie à un renforcement de la vie interne de l’Église orthodoxe et à la construction de ponts avec les chrétiens non orthodoxes, notamment les catholiques, les anglicans et les évangéliques. Les personnalités comme lui sont rares.

Le travail de l’évêque Kallistos a changé le paysage entre l’orthodoxie et l’évangélisme. On comprendra mieux sa contribution en la situant dans une période où les évangéliques ont commencé à s’intéresser à la foi ancienne.

Dans le contexte anglophone, cet intérêt se développa indirectement dans les années 1970 avec Robert Webber, professeur de théologie au Wheaton College. Ses écrits rendirent l’Église primitive attrayante pour les évangéliques en soulignant le rôle positif de la tradition de l’Église et des formes liturgiques de culte. Il décrivit également un mouvement important d’évangéliques vers l’anglicanisme dans son livre Evangelicals on the Canterbury Trail : Why Evangelicals are Attracted to the Liturgical Church (« Les évangéliques sur le chemin de Canterbury : Pourquoi les évangéliques sont attirés par l’Église liturgique »). De là, il n’y avait qu’un petit pas à faire pour que certains évangéliques passent de l’anglicanisme à l’orthodoxie.

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Vers cette époque, Billy Graham organisait des campagnes d’évangélisation dans des pays orthodoxes communistes tels que la Russie et la Roumanie. Les patriarches orthodoxes accueillirent favorablement Graham parce que sa politique d’« évangélisation coopérative » permettait que les personnes qui s’avançaient dans ses réunions soient confiées à leur propre clergé pour la formation de disciples. Puis, en 1988, un ancien dirigeant de Campus Crusade for Christ, Peter Gillquist, fit entrer sa dénomination de 1800 membres dans l’Église orthodoxe d’Antioche. Au cours des 15 années suivantes, des Églises évangéliques et charismatiques entières rejoignirent des paroisses orthodoxes locales à travers tous les États-Unis.

Le théologien méthodiste Thomas Oden commença à écrire sérieusement sur le christianisme historique au cours des mille premières années de la foi. Sa série monumentale, Ancient Christian Commentary on Scripture (ACCS), a suscité chez les évangéliques une passion théologique pour les premiers pères de l’Église qui n’a cessé de croître au fil des ans. En 2005 fut inauguré le Wheaton Center for Early Christian Studies, financé par un donateur orthodoxe. Et en 2013, la Lausanne-Orthodox Initiative (LOI) initiait la plateforme internationale la plus ambitieuse jamais développée entre dirigeants orthodoxes et évangéliques. Sa première convention, intitulée « On the Mission of God » (« Sur la mission de Dieu »), rassembla en Albanie plus de 60 leaders orthodoxes et évangéliques du monde entier. Depuis, la LOI organise régulièrement des conférences internationales et reste le carrefour du dialogue entre orthodoxes et évangéliques.

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C’est dans le contexte de cet intérêt florissant pour le christianisme primitif que l’évêque Kallistos a eu un impact sur les relations orthodoxes-évangéliques, plus que n’importe qui d’autre ne l’aurait pu. Le poids de son influence ne tenait pas seulement à sa renommée de professeur et d’érudit à l’Université d’Oxford ni à sa position officielle d’évêque dans l’Église orthodoxe. Ces éléments ont sans aucun doute joué un rôle important. Cependant, c’est leur présence chez un érudit dont la vie spirituelle était intégrée de façon si étonnante à la théologie qui a réellement eu un effet transformateur sur les orthodoxes et les évangéliques.

Les paroles d’un court hommage comme celui-ci ne peuvent communiquer ce que l’on ne peut vivre qu’en personne. L’évêque Kallistos avait quelque chose de semblable au grand moine saint Antoine d’Égypte (251-356 apr. J.-C.). On raconte une histoire célèbre sur trois frères qui venaient chaque année voir Antoine pour discuter de l’état de leur âme. L’un d’eux, cependant, ne lui demandait jamais rien. Antoine prit finalement la parole : « Tu viens me voir chaque année ici dans le désert, mais tu ne me demandes rien. Pourquoi cela ? » Le frère répondit : « Il me suffit de te voir, Abba (père) ». Les mots n’étaient pas nécessaires. La seule force de la présence d’Antoine suffisait à provoquer une transformation spirituelle chez le frère.

Il en fut de même pour ceux d’entre nous qui ont passé du temps avec l’évêque Kallistos. Sa vie sainte donnait à ses paroles un pouvoir transformateur qui pouvait changer le cœur de ceux avec qui il parlait, qu’ils soient orthodoxes ou évangéliques. Sa seule présence remodelait les relations.

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Son premier soutien écrit au dialogue orthodoxe-évangélique date de 1991, lorsqu’il appuya le travail de la toute nouvelle Society for the Study of Eastern Orthodoxy and Evangelicalism (« Société pour l’étude de l’orthodoxie orientale et du mouvement évangélique »). Il s’agissait d’une organisation novatrice de théologiens orthodoxes et évangéliques qui se réunissaient chaque année au Billy Graham Center avec le soutien de James Stamoolis, doyen de la Wheaton College Graduate School. L’évêque Kallistos élargit son implication dans le monde évangélique en 1997, lorsqu’il donna une présentation au Centre européen de recherche pentecôtiste/charismatique à Prague sur « L’expérience personnelle du Saint-Esprit chez les Pères grecs ».

J’ai eu la chance d’accueillir l’évêque Kallistos chez nous à deux reprises avant son décès. En 2011, je m’étais organisé pour que le métropolite donne une conférence au Wheaton College et à l’Université North Park intitulée « Dialogue entre orthodoxes et évangéliques : Qu’avons-nous à apprendre les uns des autres ? ». Dans cette conférence, il soulignait la nécessité de s’aimer les uns les autres ; mais pour cela, nous devons d’abord nous comprendre. Il croyait en un dialogue fondé sur la vérité, et non sur les faux-fuyants ou les compromis. Pour être humains, nous avons besoin les uns des autres, car les humains sont dialogiques par nature, tout comme la Trinité est dialogique.

Pour l’évêque Kallistos, les orthodoxes et les évangéliques semblent à première vue très différents, mais ont en fait beaucoup plus en commun que la plupart des gens ne le pensent. Nos différences ne sont pas aussi grandes que nous pourrions le supposer. Il considérait que les orthodoxes et les évangéliques partagent une foi commune dans les saintes Écritures comme pleinement véridiques, en la Trinité, en Jésus-Christ comme pleinement humain et pleinement divin, et en la naissance virginale, les miracles, la mort sacrificielle du Christ sur la croix, sa résurrection corporelle et sa seconde venue. L’évêque estimait que nous partageons également une foi commune dans l’institution divine du mariage et une approche commune des problèmes de l’homosexualité, de la bioéthique et de l’euthanasie.

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Lors de ce voyage de 2011, Kallistos offrit également l’une des meilleures interviews sur l’orthodoxie et l’évangélisme avec le rédacteur en chef d’alors du magazine Christianity Today. Intitulé « The Fullness and the Center » (« La plénitude et le centre ») l’article tournait autour de l’Évangile, de l’évangélisation, de la justice sociale et de la tradition..

Il y déclarait :

« Nous, les orthodoxes, sommes certainement encore trop repliés sur nous-mêmes ; nous avons besoin de nous rendre compte que nous avons un message que beaucoup de gens écouteront avec plaisir. […] Pour moi, le témoignage missionnaire le plus important que nous ayons est la Divine Liturgie, le culte eucharistique de l’Église orthodoxe. C’est la source vivifiante d’où procède tout le reste. C’est pourquoi, à ceux qui manifestent un intérêt pour l’orthodoxie, je dis : “Venez et voyez. Participez à la liturgie”. La première chose, c’est de faire l’expérience de l’orthodoxie — ou, d’ailleurs, du christianisme — en tant que communauté de culte. Nous partons de la prière, pas d’une idéologie abstraite, pas de règles morales, mais d’un lien vivant avec le Christ exprimé à travers la prière. »

La somme de l’œuvre de l’évêque Kallistos a changé la donne pour les chrétiens orthodoxes et évangéliques. Il a construit un pont pour un témoignage chrétien uni, aussi loin que possible de chaque côté ; son engagement orthodoxe auprès de la communauté évangélique a légitimé un dialogue qui était auparavant absent ; et il a encouragé la communauté orthodoxe à considérer les évangéliques comme de véritables frères et sœurs en Christ. Même si notre unité est imparfaite, nous avons besoin les uns des autres et nous nous appartenons mutuellement en tant que membres du corps du Christ. Son respect pour l’héritage intellectuel du mouvement évangélique a donné au mouvement une crédibilité qui n’était pas toujours évidente aux yeux des orthodoxes.

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Il a également fait découvrir aux évangéliques une orthodoxie généreuse, éprouvée par le temps et enracinée dans des siècles de tradition apostolique. Lorsque CT lui demanda ce qui empêchait l’Église orthodoxe de dérailler, l’évêque Kallistos répondit : « L’Écriture sainte telle qu’elle a été comprise dans l’Église et par l’Église à travers les siècles. […] Mais la tradition est vivante. L’âge des pères ne s’est pas arrêté au cinquième ou au septième siècle. Nous pourrions avoir encore aujourd’hui, au 21e siècle, des saints pères égaux aux anciens pères ».

Pour moi, Kallistos Ware était un exemple vivant de Père de l’Église pour le 21e siècle. Que sa mémoire soit éternelle.

Bradley Nassif est l’auteur de The Evangelical Theology of the Orthodox Church (St. Vladimir’s Seminary Press, 2021).

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