Quiconque a étudié une langue étrangère connaît le plaisir que l’on a à y rencontrer soudain un mot familier. Ce sentiment est semblable à ce que l’on éprouve dans une chasse au trésor. Lors de mes premières semaines de cours de latin au lycée, j’ai découvert que mon propre nom de famille, Vincent, dérivait du mot latin signifiant « vaincre ». Ce genre de découverte égaie la journée d’un adolescent de 15 ans qui s’ennuie un peu !

C’est mon enthousiasme pour ces dérivations surprenantes qui m’a poussé à parcourir les pages de la Vulgate, traduite par Jérôme à la fin du 4e siècle. Pendant des siècles, cette traduction latine des Écritures hébraïques et grecques a servi de version standard de la Bible dans les églises du monde occidental et de nombreuses décisions interprétatives de Jérôme donnent un aperçu de la compréhension historique de l’Écriture par l’Église. Mais pour moi, il y avait d’abord là un terrain propice aux découvertes étymologiques.

Il y a quelques années, je suis tombé sur une de ces pépites d’histoire linguistique cachée dans la Vulgate. Tout a commencé alors que je lisais le commandement d’amour tel que nous le rapporte Luc 10.27 :

« Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. »

Lorsque Jésus dit à un spécialiste de la loi intrigué que toute la Loi et les Prophètes dépendent de ces deux commandements (Mt 22.40), il sait que ceux-ci étaient bien connus de son auditoire. Tous deux sont directement tirés de la Torah (Dt 6.4-9 ; Lv 19.18) et devaient leur être intimement familiers. Mais Jésus, avec l’autorité sans précédent qui est la sienne (Mt 7.29), leur confère une frappante et nouvelle centralité.

Ces mots nous sont également rapportés dans une langue nouvelle. Bien que Jésus lui-même se soit principalement exprimé en araméen, les Évangiles consignent ses paroles en grec, exprimant souvent le mot « amour » par le grec agapé et les termes qui s’y apparentent.

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À moins d’être arrivé récemment dans les églises, vous avez probablement déjà entendu parler de ce mot. Agapé comporte diverses nuances qui le distinguent d’autres mots grecs plus courants pour « amour », et la préférence biblique pour ce mot en a fait un sujet populaire pour les sermons et, plus récemment, les tatouages d’avant-bras.

Ce n’est pas sans raison : il est assez frappant pour un esprit moderne façonné par le français que l’amour puisse être commandé et non pas simplement rencontré par hasard !

Mais ce n’est pas d’agapé que je veux vous parler. Ce qui m’a interpellé, c’est le mot latin que Jérôme a choisi pour parler de cet amour : diligere.

Même si vous n’avez jamais étudié le latin ou tenu en main un exemplaire de la Vulgate, diligere pourrait vous sembler familier. C’est de ce mot que nous avons tiré le mot français diligence, qui évoque généralement un travail soigneux et engagé.

Ce lien n’est pas un hasard et le cheminement qui a fait du mot latin « aimer » un mot français évoquant un bon travail est une belle illustration de la nature de ces deux choses.

Faire un tour dans l’histoire linguistique fascinante de diligere me paraît pouvoir nous inspirer quant à la puissance transformatrice de l’amour auquel le Christ nous appelle. Ce parcours pourrait aussi offrir une leçon très actuelle aux disciples du Christ qui vivent à une époque d’inattention et de distraction.

Un rapide coup d’œil à un dictionnaire latin standard, comme le Gaffiot, vous indiquera que diligere signifie notamment « choisir, distinguer, estimer, honorer, aimer ». Pour bien comprendre l’histoire et la signification de ce mot, il faut toutefois remonter plus loin dans le temps. Diligere est un mot composé à partir du préfixe latin dis-, marquant l’idée de mise à part, et de la racine proto-indo-européenne leg-, qui signifie « choisir » ou « rassembler ».

Cette combinaison — que l’on pourrait littéralement traduire par « choisir à part (des autres) » — donne un sens à l’utilisation du terme latin par Jérôme. Diligere signifie en effet distinguer quelque chose ou quelqu’un, l’estimer à sa juste valeur et le traiter avec les honneurs et l’affection qui lui sont dus.

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Dans un commentaire sur le texte de la Vulgate du psaume 18, où diligere est utilisé pour le mot hébreu signifiant « amour », l’homme d’État et érudit romain Cassiodore l’exprime de la manière suivante : « Diligo est utilisé comme si je choisissais [une chose] parmi toutes les autres. »

Au fond, diligere est donc une question de sélection : le choix de s’accrocher à une chose plutôt qu’à une autre. Dans son histoire la plus ancienne, diligere désigne le dévouement volontaire. Cet arrière-plan colore nettement la manière dont cette racine a été préservée dans notre propre langue aujourd’hui : la diligence désigne une sorte de dévouement pratique.

Cette histoire explique pourquoi Jérôme a choisi de traduire l’amour agapé par diligere : Diligere illustre magnifiquement le cœur du commandement d’amour. Lorsque Jésus nous ordonne d’aimer le Seigneur et nos prochains, il nous demande de faire un choix conscient et souvent difficile : nous consacrer aux autres et à leur bien. Il nous ordonne de les mettre à part de la foule des sollicitations de notre attention et de nos diverses affections et de les élever à une position où ils seront estimés et valorisés.

Il ne s’agit pas d’une simple question d’affection, mais d’un engagement qui peut être commandé. Et il nous est demandé de refaire ce choix difficile chaque jour, de manière constante et répétée.

C’est la première leçon de diligere. Aimer Dieu et notre prochain — accomplir la loi de Dieu dans son essence même — c’est les choisir. Les trois petits mots que ma femme a fait graver à l’intérieur de mon alliance me le rappellent chaque jour : Je te choisis. Le choix et le dévouement sont le fondement de l’amour biblique, et ce fondement transparaît dans ce mot latin.

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Nous contemplons déjà là quelque chose de magnifique et transformateur. Mais diligere a encore d’autres choses à nous apprendre.

Le verbe diligere s’est ramifié pour créer d’autres mots et significations. L’un d’entre eux, le terme latin diligentia, est défini dans le Gaffiot comme « attention », « exactitude » ou encore « soin scrupuleux », entre autres. Le célèbre orateur romain Cicéron qualifiait la diligentia de « vertu unique dont dépendent toutes les autres vertus ». Ce n’est pas peu dire !

L’éloge de la diligentia par Cicéron découle de la place qu’elle occupe au centre d’un réseau de vertus apparentées : « l’attention, la concentration mentale, la réflexion, la vigilance, la persévérance et le travail acharné ». Chacune de ces qualités découle d’un point de départ unique : le dévouement volontaire. Ainsi, la diligentia découle bien du diligere.

Que Dieu partage ou non l’appréciation de Cicéron quant à son rang parmi les vertus, la diligentia a assurément beaucoup à voir avec l’amour chrétien.

Après tout, comment persévérer dans une tâche à laquelle on ne se dévoue pas ? On ne peut apporter de véritable soin à quelque chose sans s’y engager. Le travail acharné n’a de sens que s’il est alimenté par un diligere sous-jacent — un dévouement constant et volontaire à l’objet de votre amour et de votre attention. De la sorte, un mot désignant l’activité de l’amour en a engendré un autre exprimant la vertu d’une attention soigneuse.

Au fil des siècles, diligentia a continué d’évoluer, jusqu’à prendre la forme diligence en ancien français. Au 19e siècle, en France et en Angleterre, on désignait d’ailleurs par ce terme des véhicules fermés tirés par des chevaux et destinés aux longs trajets. Leur nom laissait entendre qu’une « diligence » était rapide, sûre et fiable, idéale pour des voyages au loin et importants.

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À la vertu de diligence s’est également associé l’adjectif diligent. Si le mot est aujourd’hui un peu vieilli, il reste encore familier, et a également fait son chemin jusqu’à l’anglais de mon enfance.

« Travaille avec diligence, mon fils. » Voilà la recommandation fondamentale que mon père m’a donnée la première fois que j’ai été employé pour un travail en dehors de ma propre maison. C’était l’un de ses mots préférés, et je l’ai entendu assez souvent pour qu’il devienne rapidement un élément clé de mon propre vocabulaire.

L’importance d’une bonne « éthique du travail » et le sens général de la diligence comme engagement sincère et persévérant ont occupé une place centrale dans ma compréhension de mon père. Telle que je la percevais, la diligence signifiait quelque chose comme « un bon vieux travail acharné ». Ce n’est pas un mauvais point de départ. Mais si la diligence peut assurément signifier cela, elle signifie aussi beaucoup plus.

Ces dernières années, on a accordé plus d’attention à ce que la Bible dit du travail, et l’Église a bénéficié d’un approfondissement de l’intérêt pour ce que l’on pourrait appeler la théologie du travail. Je suis notamment reconnaissant pour le Theology of Work Project et les écrits de Tim Keller, Tom Nelson et d’autres qui ont contribué à cette réflexion vitale.

L’Écriture contient une riche sagesse concernant le sens, la nature et le but du travail, des premières aux dernières pages. Que vous soyez pasteur, plombier ou parent, il vous est demandé de travailler « de tout votre cœur, comme pour le Seigneur » (Col 3.23).

Le travail est inextricablement lié à l’amour, au dévouement et au soin. Travailler avec diligence, au sens historique le plus large et le plus profond du terme, signifie mettre toutes ces vertus au service de nos tâches quotidiennes.

Nous avons déjà vu comment le diligere — le fait de choisir quelque chose (ou quelqu’un) et de s’y dévouer délibérément — peut remodeler notre compréhension de l’amour. Nous devrions également voir comment cette idée peut révolutionner notre façon de penser le travail.

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Ne nous voilons pas la face : la plupart des travaux que nous effectuons ne sont pas des travaux que nous choisissons de faire. La plupart de nos tâches quotidiennes ne sont pas accomplies par passion personnelle. Et il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire à ce sujet.

Le problème, c’est que nous avons tendance à mettre beaucoup plus de diligence — c’est-à-dire de soin et d’attention — dans les tâches que nous aimons. Il est facile d’être pointilleux sur un sujet qui vous passionne ; il est beaucoup plus difficile de se préoccuper des détails lorsque l’on ne fait que tenter de se débarrasser d’une tâche. Ce n’est pas toujours problématique. Toutes les tâches n’exigent pas un engagement profond.

Mais qu’en est-il des tâches désagréables pour lesquels cet engagement est nécessaire ? Comment pouvons-nous cultiver un caractère diligent dans les tâches quotidiennes ? Tout est une question de faire un choix, de diligere.

Lorsque Jésus nous ordonne d’aimer le Seigneur et notre prochain, il nous demande de faire un choix : le choix de valoriser l’autre, de lui donner de la place et d’agir pour son bien. Ce premier choix — celui de se dévouer à l’autre — nous pousse nécessairement vers d’autres choix.

Nous devrions choisir d’apporter le même niveau d’attention et d’investissement au travail que nous effectuons pour le bien d’autrui qu’au travail qui sert nos propres intérêts. Nous devons choisir, dans notre préparation et sur le moment, de rester concentrés, attentifs et persévérants dans les tâches quotidiennes nécessaires pour prendre soin de ceux qui nous entourent.

Les choix qui définissent la diligence chrétienne exigent que nous y mettions notre cœur, notre esprit, notre âme et notre force et que notre amour de nous-mêmes laisse de la place à l’amour des autres.

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Cette compréhension de la diligence ne nous simplifie pas les choses. Elle élèverait plutôt la barre. Comment pouvons-nous espérer être à la hauteur ? La diligence parfaite est hors de portée pour nous, créatures à l’attention et à la persévérance fragiles.

Mais n’est-ce pas le cas de toute vertu qui mérite d’être recherchée ? N’est-ce pas là même le modus operandi de Dieu : placer devant nous une barre que nous ne pouvons espérer atteindre par nous-mêmes et nous promettre ensuite sa grâce quotidienne à mesure que nous progressons dans une vie de bonté et de piété ?

La diligentia présente un défi particulièrement important pour les chrétiens de notre époque. L’amour exige de l’attention, et celle-ci se fait de plus en plus rare.

En 2015, le magazine Time se faisait le relais d’un étonnant exemple de désinformation : la capacité d’attention moyenne des Canadiens serait devenue plus courte que celle d’un poisson rouge. Cette comparaison a été réfutée à de nombreuses reprises, mais elle est encore fréquemment citée. Néanmoins, les recherches menées par la psychologue Gloria Mark à l’Université de Californie montrent que la moitié du temps, la durée de notre concentration sur une tâche est inférieure à 40 secondes.

L’un des facteurs clés de l’aggravation de ce problème est la présence toujours plus récurrente au quotidien de ce que la chercheuse appelle des « déplacements de l’attention », désignant par là le processus consistant à devoir réorienter activement notre attention d’une tâche à l’autre. Ce processus demande du temps et des efforts. Par conséquent, plus nous passons souvent d’une chose à l’autre, plus nous consacrons de temps et d’énergie au simple processus de transfert de notre attention. D’autres facteurs, comme l’augmentation du stress et le manque de sommeil, aggravent le problème.

Ce n’est probablement pas la première fois que vous entendez parler de ces défis, car la prise de conscience de la crise de l’attention s’est accrue ces dernières années. Cette prise de conscience s’est accompagnée de propositions diverses pour faire face à cette situation, notamment le minimalisme technologique, la discipline en matière de sommeil, la méditation et la modification des attentes à l’égard des employés. Le problème est que cette prise de conscience n’a pas résolu notre problème.

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Se pourrait-il que la définition biblique de l’amour permette également de lutter contre la crise de l’attention ? Nos bons vieux dictionnaires de latin pourraient-ils nous offrir des ressources pour lutter contre les vicissitudes du 21e siècle ?

Je ne voudrais pas en faire trop. Un fait linguistique amusant ne suffit pas à résoudre les problèmes de stress post-traumatique ou d’insomnie ni à démanteler les structures sociologiques qui ont donné naissance à la crise de l’attention. Mais je crois que les disciples de Jésus sont particulièrement bien équipés — et même appelés — pour être un rempart contre une vie marquée par la distraction et l’inattention.

La crise de l’attention s’aggravant, la vertu de diligence est d’autant plus précieuse. Il est donc bon de rappeler sa place au cœur du véritable amour chrétien.

Si nous voulons vivre une définition vraiment biblique de l’amour, nous devons apprendre à nous montrer soigneux et attentifs. Cela demande du temps et de la pratique. J’en suis venu à croire que la diligence est un élément encore plus important de l’amour que les bons vieux actes de gentillesse et de service.

Indépendamment de tous les obstacles qui se dressent sur notre route, Jésus a l’audace de nous ordonner d’aimer avec diligence. Nous sommes appelés à faire le choix quotidien et délibéré de nous consacrer aux autres et à Dieu, d’être présents, attentifs, attentionnés et engagés, et d’imprégner chaque tâche du type de diligence inébranlable que nous investissons naturellement dans nos propres intérêts.

En tant que disciples de Jésus, nous devrions être connus pour notre présence et notre attention, tout autant que pour notre gentillesse envers les étrangers et notre amour des ennemis.

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Chaque jour, vous serez appelé à faire quelque chose que vous préféreriez ne pas faire ou à montrer de l’amour à quelqu’un dont vous ne vous préoccuperiez pas naturellement. Chaque jour, vous serez confronté à des voleurs d’attention. Et chaque jour, je prie pour que le Seigneur vous rappelle cette vieille formule, comme il l’a déjà si souvent fait pour moi : Fais diligence.

Benjamin Vincent est pasteur adjoint à Journey of Faith Bellflower et enseigne à la Pacifica Christian High School de Newport Beach, en Californie.

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