Le Proche-Orient se trouve aujourd’hui à un tournant, un véritable kairos. Alors que les femmes de la région luttent pour leurs droits et leurs libertés, le changement se fait également sentir dans les universités chrétiennes. Là où l’on ne comptait autrefois qu’un petit nombre de théologiennes, on découvre aujourd’hui un nombre croissant de femmes qui prennent leur place dans la conduite de l’Église et offrent encouragement et ouvertures à d’autres qui envisagent à leur tour d’exercer des responsabilités.

Alors que seules les Églises protestantes ont déjà ordonné des femmes pasteures — au Liban, en Syrie et dans les territoires palestiniens —, d’autres figures audacieuses frayent un nouveau chemin de spiritualité au sein de la société arabe patriarcale.

Et c’est notamment dans le passé qu’elles puisent leur inspiration.

Il y a des siècles, au sein des premières communautés chrétiennes, des chrétiennes orientales — diaconesses, historiennes, théologiennes et martyres — travaillaient déjà à l’articulation de leur foi et de leur théologie. Cependant, leur histoire reste méconnue, même dans leur région d’origine. Mais il est très intéressant de voir que deux des plus grandes communautés chrétiennes subsistantes dans le monde arabe, les coptes et les maronites, ont historiquement connu le leadership féminin. Dans le contexte ecclésial riche et complexe du Proche-Orient, leur héritage continue de façonner notre pensée théologique en tant que femmes évangéliques.

Des mères du désert

En observant la pleine lune se lever au-dessus du désert égyptien, sur la terre où saint Antoine (251-356 apr. J.-C.) établit initialement le monachisme en tant que mouvement laïc, je me rappelle que la spiritualité a été façonnée par l’ascétisme. Les pères du désert ont laissé un héritage de sagesse célébré encore aujourd’hui par de nombreuses personnes en quête de discipline spirituelle.

Mais nous oublions souvent les mères du désert.

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Ces ammas (du syriaque original) étaient des ascètes chrétiennes qui habitaient également les déserts d’Égypte, de Palestine et de Syrie aux quatrième et cinquième siècles, que ce soit dans des communautés monastiques ou en tant qu’ermites. Hommes et femmes les respectaient en tant que modèles spirituels de maturité et d’une sagesse qu’elles transmettaient par l’enseignement, la prédication et leurs propres sublimes exemples.

Amma Synclética d’Alexandrie (décédée vers l’an 350) dirigeait une communauté de femmes désireuses de servir Dieu, avec des idées religieuses très appréciées dans les écrits du pape Athanase le Grand.

Amma Sarah, ermite du cinquième siècle dans le désert égyptien de Wadi Natroun, était connue pour son ascétisme, son courage et ses enseignements spirituels. Lectrice instruite, elle tenait à ce que son cœur soit entièrement droit dans sa quête de Dieu.

Sainte Synclética d’Égypte
Image: Adaptations par CT/Image source : WikiMedia Commons

Sainte Synclética d’Égypte

Amma Théodora (décédée en 412), guide spirituel de renom, rencontra saint Antoine à plusieurs reprises et était une collègue de l’archevêque Théophile d’Alexandrie.

Bien que ces mères du désert aient désiré la solitude, elles ne considéraient pas les restrictions culturelles relatives aux femmes comme des obstacles à leur appel ou à leur quête de Dieu, et entretenaient divers contacts qui leur permettaient de servir de modèle dans leur étude quotidienne et leur vie de prière.

Pour les chrétiens contemporains qui cherchent à vivre fidèlement leur spiritualité dans un contexte complexe comme celui du Proche-Orient, les pratiques des mères du désert peuvent offrir de riches orientations. Le cadre monastique encourage le lien entre spiritualité et théologie, mettant au centre la Parole de Dieu et les disciplines spirituelles.

Dans la solitude, ces mères du désert ont produit des ouvrages théologiques profonds, qui font cruellement défaut dans le monde arabe d’aujourd’hui, en particulier de la plume de femmes.

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« Filles de l’Alliance »

En me promenant aujourd’hui dans la rue Star, dans la vieille ville de Bethléem, j’aperçois le sanctuaire de l’Église syriaque consacré à la Vierge Marie. Dès le début, le christianisme syriaque a offert aux femmes des responsabilités de diaconesses et de vierges consacrées. Les sources littéraires contiennent des références fréquentes à ce sujet depuis le cinquième jusqu’au dixième siècle, tant dans les traditions occidentales (maronites) qu’orientales (assyriennes/chaldéennes) du christianisme syriaque.

Plusieurs des plus anciens textes mentionnent les bnat qyama, « filles de l’alliance », aux côtés des diaconesses. Il s’agit de femmes qui avaient fait vœu de célibat et de simplicité pour œuvrer au service du Christ. Non seulement leurs chœurs de femmes (généralement composés de vierges consacrées) dirigeaient le culte, mais leurs hymnes fournissaient également aux croyants les fondements de leur enseignement sur la Bible, la théologie et la communauté chrétienne. Leur remarquable enseignement et leur ministère liturgique peuvent être retracés au moins jusqu’au neuvième siècle.

Jacques de Saroug (mort en 521), par exemple, mentionne les chœurs de femmes comme des « enseignantes » (malphanyatha, un féminin pluriel), dont le chant avait pour rôle la « proclamation » (karuzutha, correspondant au grec kerygma) dans la liturgie. Les sources syriaques décrivent les filles de l’alliance, appréciées pour leur façon mélodieuse de transmettre la vérité scripturale, comme des connaisseuses de la littérature exégétique, ascétique et hagiographique, ce qui témoigne d’une culture où les femmes s’intéressaient à la théologie sous de nombreuses formes.

Une mystique maronite

Hannah Ajaymi naquit en 1720 dans une famille maronite à Alep, en Syrie. Mais elle est plus connue sous le nom de Hindiyya, étymologiquement lié au nom arabe de l’Inde, en raison de son teint olive foncé. À 17 ans, elle est considérée comme un modèle de piété dans les disciplines spirituelles, notamment la prière de Jésus et le jeûne. Peu intéressée par le mariage, elle se considère comme épouse du Christ.

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Son dévouement au Christ conduit sa détermination à constituer une congrégation religieuse, et elle devient la fondatrice et mère supérieure d’un groupe de moniales. Son premier couvent s’établit à Alep en 1753, mais elle parcourt fréquemment les montagnes libanaises et fondera au total quatre communautés monastiques.

Hindiyya avait une connaissance exceptionnelle des ouvrages religieux arabes et fut l’autrice d’une collection considérable de publications. Son œuvre majeure, Sirr al-Ittihad (« Mystère de l’Union »), est le premier rare récit arabe connu d’une expérience mystique avec Jésus par une femme chrétienne. Et son Al-Durar al-Saniya (« Joyaux précieux ») est également un ouvrage théologique important : plus de 400 pages de conseils spirituels à l’intention de ses nonnes. Hindiyya décède en 1798.

Alors que le Liban d’aujourd’hui s’efforce de renaître de ses cendres et de sortir de ses débris, l’Église maronite a aménagé un espace pour discuter du rôle des femmes avec son synode de 2022 consacré à leur mission particulière. Hindiyya a été vénérée comme une sainte à certains moments de sa vie, mais à d’autres moments, elle fut considérée comme une menace hérétique pour l’ordre établi. Pourtant, comme me l’a dit un prêtre de premier plan, « il est grand temps que l’Église maronite rouvre le dossier d’Hindiyya. »

Mère Irini

Connue sous le nom d’Ummina en arabe et de Tamav en copte (« Notre mère »), Irini est un exemple moderne de mère du désert. Née Erene Yassa en 1936, elle est devenue mère supérieure du couvent St Abou Seifein du vieux Caire et a joué un rôle majeur dans la renaissance et la réforme du monachisme copte pour les femmes. Elle fut consacrée religieuse en 1954 et écrivit de nombreuses méditations sur les enseignements bibliques, les visions mystiques et les maladies physiques.

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S’inspirant de la vie de sa compatriote alexandrine Amma Synclética, elle renonça à la richesse de sa famille pour s’engager sur la voie de la pauvreté. Elle est décédée en 2006.

Mère Irini
Image: Adaptations par CT.

Mère Irini

Mère Irini est bien connue et appréciée par de nombreux chrétiens égyptiens en tant que leader du renouveau copte. Les coptes honorent sa spiritualité aux côtés de figures très populaires tels que les papes Cyrille VI (1959-1971) et Chenouda III (1971-2012).

Dotée d’une grande perspicacité spirituelle, elle utilisa ses dons pour enseigner et guider à la fois ses moniales et les visiteurs fréquents — hommes et femmes — qui recherchaient la sagesse de sa communauté monastique. Non seulement elle menait une vie de prière, mais elle était aussi une gestionnaire douée. Témoignage de l’importance de cette figure spirituelle, la rumeur populaire exagère ses visions et ses miracles, comme pour certains autres saints égyptiens historiques tels qu’Abanoub et Mina.

En enrichissant la bibliothèque du couvent de publications sur les femmes pieuses, mère Irini a élargi l’espace réservé aux femmes dans l’Église copte, où les hommes gardent généralement les fonctions de représentation officielle. Le renouveau copte était tout d’abord centré sur le monachisme masculin, mais aujourd’hui en Égypte des centaines de moniales et de mukarrasat (vierges consacrées) servent les pauvres et revivifient les traditions de l’Antiquité.

Comme dans d’autres Églises orientales, l’exemple de cette femme a également inspiré des femmes en dehors des couvents, stimulant un engagement renouvelé dans la formation théologique.

Des chercheuses modernes

Plusieurs exemples éminents de femmes suivent ainsi les traces de ces figures historiques :

  • Moniale de l’Église orthodoxe copte, mère Lois Farag est conférencière au Luther Seminary aux États-Unis et autrice de St. Cyril of Alexandria, A New Testament Exegete: His Commentary on the Gospel of John (« Cyrille d’Alexandrie, exégète du Nouveau Testament : son commentaire sur l’Évangile de Jean ») et Balance of the Heart: Desert Spirituality of Twenty-First Century Christians (« La balance du cœur. Spiritualité du désert des chrétiens du 21e siècle »).
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  • La jeune érudite Dina Tarek a produit des ouvrages importants dans le domaine des études bibliques et de la théologie spirituelle par l’intermédiaire de la Fondation de l’École d’Alexandrie.
  • Souraya Bechealany, ancienne secrétaire générale du Conseil des Églises du Moyen-Orient, est titulaire de deux doctorats en théologie.
  • Roula Talhouk, anthropologue et théologienne pratique, supervise des doctorants à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.
Lois Farag
Image: Adaptations par CT/Photo fournie par Lois Farag

Lois Farag

Empreintes d’une profonde spiritualité, ces femmes sont à la proue d’une nouvelle génération de théologiennes arabes dans un paysage théologique très divers où leur présence a souvent été marginalisée, leurs voix ignorées et leurs contributions méconnues.

À bien des égards, leur émergence a été suscitée par une avant-garde protestante plus égalitaire. En retour, ce développement inspire aux Églises évangéliques un plus grand respect pour leurs frères et sœurs historiques.

Dans les terres où le christianisme est né, mais où sa présence décroît à l’heure actuelle, ces brillantes figures féminines nous rappellent que, grâce à la puissance de l’Esprit saint et aux prières de l’Église mondiale, le glorieux Évangile continuera d’être proclamé, apportant un espoir à la fois présent et éternel à une région marquée par les épreuves.

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