Il y a de cela plusieurs années, Johnson Ambrose Afrane-Twum, Africain d’origine, était pressenti pour devenir pasteur principal d’une église à majorité blanche au Royaume-Uni. Il fut alors approché par un ami blanc :

« Johnson, tout le monde ici sait que tu as la capacité de diriger cette église. Il n’y a qu’un seul problème : certains disent qu’ils ne veulent pas de toi comme pasteur parce que tu parles avec un accent ghanéen. »

Le pasteur en est resté étonné : « Qu’est-ce qu’un accent vient faire là-dedans ? Est-ce la façon dont Dieu veut que nous édifiions l’église ? »

Avant d’immigrer au Royaume-Uni, en 2005, pour y poursuivre ses études en théologie et leadership, Afrane-Twum avait déjà implanté des églises dans trois pays d’Afrique de l’Ouest dans le cadre du mouvement Calvary Chapel.

Arrivé en Grande-Bretagne, il a rapidement constaté que de nombreuses églises locales étaient moribondes, mais que des communautés dynamiques se créaient du côté des immigrants. Cette prise de conscience et sa longue expérience stimulante dans le travail interculturel l’ont alors poussé à rechercher comment inciter les responsables chrétiens africains à travailler avec les Britanniques pour revitaliser la foi dans tout le pays.

Ces recherches ont fait l’objet d’un ouvrage intitulé Christian Mission in a Diverse British Urban Context. Afrane-Twum y explore l’identité africaine dans les églises britanniques, les barrières culturelles auxquelles les Africains sont confrontés dans le pays et le besoin de moyens plus créatifs pour atteindre les diverses communautés.

Il nous parle de la communauté des migrants africains et de son potentiel de renouveau pour le corps du Christ en Grande-Bretagne.

Comment évaluez-vous les relations actuelles entre les églises britanniques établies et les communautés d’immigrés africains ?

On prétend parfois que les églises noires du Royaume-Uni participent à la « mission retour », ou « mission inversée ». Le Royaume-Uni a apporté l’Évangile en Afrique, et maintenant c’est l’Afrique qui le leur ramène. Mais ce n’est pas ainsi que je vois les choses. Si vous êtes un Africain au Royaume-Uni aujourd’hui et que vous ne vous occupez que de vos semblables et non de la communauté au sens large, alors il n’y a pas de mission retour. C’est une problématique à aborder. Comment nous associer aux églises blanches afin d’être efficaces dans notre travail missionnaire auprès de l’ensemble du Royaume-Uni et pas seulement auprès de nos compatriotes africains noirs ?

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De nombreuses églises à majorité blanche permettent aux églises de migrants d’utiliser leurs bâtiments. Mais pour que le partenariat soit efficace, il faut aller plus loin. L’Église des migrants africains et l’Église britannique sont toutes deux d’accord de gagner des âmes au Christ, mais plusieurs changements culturels liés à l’immigration ces dernières décennies rendent les choses plus difficiles. La première chose que nous devons faire est de nous engager à construire une relation spirituelle d’amour et de confiance mutuels. Nous devons aider les églises blanches à comprendre que nous sommes ici pour une mission. Pour l’instant, elles pensent que nous ne sommes là que pour notre propre peuple.

Dieu a providentiellement permis aux églises noires de venir ici pour soutenir les églises britanniques. Bâtir une relation spirituelle d’amour et de confiance mutuels nous aidera à poursuivre ensemble les objectifs du royaume. Si les églises blanches en viennent à croire qu’elles ont besoin d’un réveil et que nous avons été appelés à les aider, la question suivante est de savoir comment nous pouvons les assister au mieux. Comment nous voient-elles et comment les voyons-nous ? S’il existe des préjugés culturels, nous devons y remédier. Atteindre les objectifs du royaume de Dieu devrait être notre but ultime, malgré nos différences.

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Vous avez choisi d’étudier quatre églises distinctes dans le cadre de votre recherche sur le ministère interculturel au Royaume-Uni. Quels sont les résultats de vos recherches ?

Deux communautés — All Nations Church à Wolverhampton et Harborne Baptist — sont des églises à majorité blanche qui se sont efforcées d’accueillir des personnes issues de milieux multiethniques. Mon étude de l’église All Nations révèle qu’au Royaume-Uni, les migrants de deuxième génération peuvent non seulement s’adapter au mode de vie et à la culture de la communauté blanche au sens large, mais aussi, s’ils sont soutenus correctement par les responsables locaux, devenir eux-mêmes des responsables d’églises multiethniques.

À Harborne Baptist, j’ai vu à quel point il est important que les pasteurs forment les jeunes de leur église à devenir des responsables interculturels et qu’ils leur donnent la liberté de travailler avec des chrétiens d’autres milieux.

Les deux autres communautés étaient l’église éthiopienne de Londres, qui est mono-ethnique, et l’église de Pentecôte, une communauté très prospère liée à une dénomination du Ghana. La première préfère s’organiser autour de ses propres allégeances et valeurs culturelles. Ses membres estiment qu’ils peuvent mieux se connecter à Dieu avec des personnes qui partagent leurs origines, leur langue, leur histoire, leur culture, leur style de culte et leurs besoins sociaux.

L’église de Pentecôte, en revanche, est une église de migrants qui a tenté de travailler avec une église à majorité blanche. Pour elle, la capacité des migrants de la deuxième génération à participer à des rassemblements multiethniques augmentera à mesure qu’ils se sentiront plus à l’aise dans les espaces sociaux de leur culture d’accueil. Elle élabore donc une stratégie pour atteindre la communauté au sens large. Cet objectif devrait être atteint par la prochaine génération.

En général, les églises de migrants ont permis à leurs membres de retrouver le sentiment d’appartenance et de respect de soi qui leur manquait à leur arrivée dans le pays. Mais nous devons redoubler d’efforts pour collaborer avec les églises à majorité blanche afin de créer une société qui reflète les valeurs du royaume de Dieu.

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Quelle est votre expérience du racisme dans l’Église britannique ?

Au Royaume-Uni, certains Blancs estiment que les églises devraient continuer à fonctionner comme elles l’ont toujours fait et qu’il n’est pas nécessaire de franchir les barrières culturelles pour atteindre d’autres groupes. Lors de mon master, un de mes professeurs qui parlait de modèles d’implantation d’églises estimait que les églises noires devaient être destinées aux Noirs et les églises blanches aux Blancs. Ce sont des réflexions de ce genre qui expliquent pourquoi je fais ce travail.

Quant aux personnes de mon église qui m’en voulaient à cause de mon accent, je ne pense pas qu’elles étaient racistes. Je pense qu’elles étaient juste ignorantes.

Comment la communauté des migrants africains a-t-elle réussi à se constituer une identité au Royaume-Uni ?

Ce qui nous a unis, c’est que nous avons été marginalisés par la société britannique. Nous réunir en tant que communauté ecclésiale africaine, nous a donné un sentiment de respect de soi, d’identité et d’appartenance.

Par ailleurs, les nouveaux arrivants ont besoin de l’aide de leurs compatriotes africains. Si vous vous rendez dans une église à majorité blanche et que vous dites « Je n’ai pas de papiers », il n’est pas impossible que la police vienne frapper à votre porte le lendemain.

Les Africains vont à l’église, quels que soient leurs problèmes. Nous prions pour eux, nous les édifions, nous les encourageons et nous les aidons à s’intégrer. C’est ce que doit faire l’église qui est une institution à la fois spirituelle et sociale.

Mais la question clé est la suivante : allons-nous rester cimentés dans notre propre colle ? Allons-nous nous contenter du réconfort que nous donnent nos frères chrétiens africains ou allons-nous partager ce que nous avons à offrir avec les autres ? C’est ce que nous visons. Et c’est ce que la communauté au sens large attend de nous.

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Voyez-vous cette collaboration se concrétiser ?

Les églises africaines partagent les doctrines universellement acceptées de la foi chrétienne. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas travailler avec nos frères et sœurs britanniques si nous tous pratiquons l’équité et le respect. Il y a des différences et des points communs dans tous les groupes. Cela ne devrait pas être source de division. Par l’interaction et le dialogue, nous pouvons promouvoir la compréhension des différentes cultures et favoriser une plus grande participation et inclusion de chacun.

Comme le montre le cas de All Nations, les migrants de la deuxième génération sont bien placés pour favoriser des partenariats efficaces entre les églises noires et les églises blanches, car ils connaissent les deux cultures. Le défi pour eux est, cependant, de savoir comment maintenir une certaine culture, identité et foi chrétienne héritées de leurs familles, tout en s’adaptant à la culture du pays d’accueil qui exerce sur eux une grande influence.

Beaucoup d’enfants de migrants ont perdu leur foi en Dieu à cause de la société. Ces jeunes reconnaissent leur héritage ethnique, mais trouvent plus important d’adapter leur vie et leurs valeurs à la culture ambiante. Leur contexte social est donc de plus en plus séculier. Cette situation est préoccupante, car la survie des églises d’immigrants africains dépend de notre capacité à former la prochaine génération. Le succès de toute initiative interculturelle significative dépendra de la manière dont la prochaine génération d’immigrants sera préparée.

La théologie de la libération des Noirs est mentionnée dans le livre comme un moyen de comprendre les contextes africains. Comment cette théologie a-t-elle façonné les églises africaines au Royaume-Uni ?

Les Noirs originaires d’Afrique ne sont pas tous les mêmes. Les Noirs d’Afrique du Sud, par exemple, ont développé leur théologie de la libération. C’est une version sud-africaine de la théologie des Afro-Américains aux États-Unis dans les années 60-70 qui a donné une dimension théologique à leur lutte contre l’apartheid.

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Mais d’autres pays d’Afrique subsaharienne, bien qu’ils aient également été confrontés au colonialisme, n’ont pas connu de luttes semblables. La théologie de la libération développée dans ces pays est donc très différente.

Nous, Africains, attribuons une dimension spirituelle à tout ce que nous faisons. Tous nos actes doivent être fondés sur les Écritures. Nous croyons que les démons sont réels et que nous avons besoin de la puissance de Dieu pour vaincre les forces démoniaques et la sorcellerie. Pour la plupart des Africains, la libération passe par la prière, le jeûne et une vie sainte qui aident à vaincre les forces du mal.

Dans cette version de la théologie de la libération, le Saint-Esprit et son pouvoir sont essentiels pour nous venir en aide quand nous sommes confrontés au monde des démons.

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