Dimanche, au début de la deuxième semaine des Jeux olympiques, la France a remporté sa 44e médaille, dépassant ainsi son précédent record pour des Jeux olympiques modernes. Peu de gens auraient pu prédire l'extraordinaire succès sportif du pays ou cette réjouissance nationale, qui semblait manquer après les élections nationales anticipées tumultueuses de juin et juillet.

Mais pour certains chrétiens français, des sentiments négatifs sont réapparus à la suite de la cérémonie d'ouverture controversée. Erwan Cloarec, Président du Conseil national des évangéliques de France (CNEF), a fait part de ce « sentiment de blessure » la semaine dernière dans un communiqué, ajoutant que lui-même et le Directeur général du CNEF rencontreraient ce jour-là le Bureau central des cultes du ministère de l'Intérieur pour plaider en faveur d'une laïcité qui fait place à chacun et de garanties de la part de l'État que tous, croyants ou non, soient respectés dans leurs convictions essentielles.

Le président du CNEF a souligné que de nombreuses œuvres chrétiennes avaient passé des mois à anticiper le fait que les Jeux olympiques leur offriraient une bonne occasion d'exprimer concrètement leur foi auprès des milliers de personnes attendues dans la ville. Par l'intermédiaire d'Ensemble2024, des œuvres chrétiennes et communautés évangéliques ont organisé des tournois sportifs locaux, un culte de louange du style K-Pop, une exposition examinant les interactions entre le corps, le sport et la spiritualité, une journée de surf, et un festival de louange, ainsi que la distribution de bouteilles d'eau et de produits hygiéniques. Ils ont également mis des aumôniers à la disposition des athlètes et offert aux athlètes chrétiens la possibilité de partager leurs témoignages.

Selon Erwan Cloraec, il est opportun de voir dans la situation qui s'est créée une véritable occasion de témoigner de la foi, alors que la personne du Christ était placée au centre des Jeux lors du tableau controversé de la cérémonie d'ouverture. Il poursuit en soulignant qu'il est nécessaire d'entendre les cris du cœur et le besoin de réconciliation de nos contemporains, leur quête d'identité et d'appartenance. Leur appel résonne dans une société pluraliste ; c'est à nous de leur montrer comment adresser leur appel, d'une voix encore plus forte, vers celui qui les invite tous à sa table et leur offre une véritable réconciliation, une véritable identité et une véritable appartenance.

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Nous lui avons demandé de nous parler de la réaction des évangéliques français à la cérémonie d'ouverture, de ce qu'il veut que les gens sachent à propos de laïcité, et de ce qu'il a aimé dans les Jeux olympiques cette année.

Comment avez-vous personnellement participé à l'expression de la foi autour des Jeux olympiques ?

Alors « Ensemble 2024 », c’est vraiment une initiative protestante évangélique, mais puisque c’est l’esprit des jeux olympiques, nous sommes nécessairement en lien avec d’autres acteurs, d’autres confessions. Il y a eu une célébration d’ouverture interconfessionnelle à laquelle j’ai participé au tout début des jeux. Le CNEF était aussi représenté par un délégué lors d'un événement qui n'était pas une célébration interreligieuse au sens cultuel du terme mais une action citoyenne montrant les cultes de la ville agissant au service du bien commun.

Comment les évangéliques français ont-ils réagi à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques ?

Les gens ont ressenti une blessure, le sentiment d'une humiliation. Je sais que dans beaucoup de pays, en dehors de la France, ce tableau de la Cène a provoqué un sentiment de blessure. Nous avions l'impression que par cette parodie, ce simulacre de scène, nous étions ciblés dans notre foi et que notre foi était moquée d'une certaine manière, même si ce n'était pas nécessairement l'intention réelle.

Comme le directeur artistique de la cérémonie a expliqué, et nous pouvons l'entendre, ce n'était pas son intention. Mais en tout cas, la mise en scène de ce tableau et la subversion de la Sainte cène dans une version contemporaine et inclusive a donné le sentiment qu'on jouait avec un certain nombre de symboles et que le christianisme était visé. Nous avons réagi en faisant état de ce sentiment d'humiliation ressenti par les gens, et nous avons dénoncé le fait que dans cette cérémonie, il y avait un agenda de promotion d'une certaine idéologie. Cette propagande idéologique n'avait pas sa place pendant cette cérémonie.

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Comment les événements précédents ont-ils influencé la manière dont les évangéliques français ont réagi à celui-ci ?

Évidemment, cette cérémonie était assez unique. Par contre, des responsables religieux et des évangéliques en particulier ont été attentifs à la Loi contre le séparatisme de 2021 (requalifiée en « Loi confortant le respect des principes de la République »). Cette loi a durci la législation pour nos Églises et a fait passer le régime français de laïcité [une forme distincte de séparation de l'Église et de l'État qui a toujours été considérée comme positive par les évangéliques français] d'une laïcité de liberté à une laïcité de surveillance.

Cette loi a introduit de nouveaux contrôles, des règles qui rendent l'exercice du culte administrativement plus compliqué, avec de nouvelles contraintes financières et légales. Il y a peut-être actuellement le sentiments au niveau des évangéliques du moins, d'un ras-le-bol, du sentiment que les cultes sont malmenés.

Pour nos lecteurs non-francophones, qu'est-ce que laïcité ? Pourquoi a-t-elle été instaurée ?

Ce qu'on appelle la laïcité à la française est effectivement un régime spécifique que l'on ne connaît pas en dehors de la France. Le grand combat que l'on mène, c'est de veiller à ce que la laïcité serve les objectifs qu'elle est appelée à servir – c'est-à-dire la liberté de conscience, la liberté de culte, et la liberté de religion.

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Normalement, la laïcité à la française bien comprise doit être au service des cultes. Elle n'est pas là pour les réprimer. Elle est la pour permettre à chacun de croire librement ou de ne pas croire, de vivre comme il ou elle l'entend selon les valeurs et la foi qui sont les siennes, avec la possibilité de partager sa foi ou dans le cas contraire, son athéisme ou tout ce que vous voulez. La loi le garantit, dans le droit des cultes en France depuis 1905 et la séparation de l'Église et de l'État.

C'est cette laïcité-là qui devrait prévaloir, mais fréquemment, nous avons une autre lecture de la laïcité qui sert parfois aux médias et à certains politiques. Cette autre version prétendrait que la laïcité est là pour renvoyer l'exercice du culte dans la sphère privée, et de faire en sorte finalement que la religion soit la moins visible possible, soit cachée, soit réduite au silence. Alors notre combat est un combat pour le véritable régime de la laïcité. La laïcité est là pour permettre à la foi de s'exprimer, y compris dans l'espace public, sans devoir s'excuser de croire ce que nous croyons.

Sur une note positive, les évangéliques français ont apprécié la grande liberté d'exprimer leur foi autour des Jeux olympiques.

Y a-t-il des aspects de la laïcité que vous appréciez ?

Au fond, la laïcité est bonne si elle est au service des libertés fondamentales du culte.

L'une des choses qui nous a déplu au niveau de la cérémonie d'ouverture, c'est qu'elle a été inaugurée par le chef de l'État, représentant la République française, ce qui devait garantir qu'aucun citoyen ne se sente exclu ou pointé du doigt. La laïcité, qui garantit la neutralité de l'État, est une valeur forte du gouvernement en France. Et pourtant, on a eu le sentiment dans cette cérémonie d'ouverture que la République ne respectait pas ce principe de neutralité, mais ciblait une religion en particulier, notamment par l'évocation de ce tableau de la Cène.

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Si nous défendons la liberté de tous, ceci comprend la liberté artistique, la liberté de penser, la liberté de pouvoir critiquer le christianisme. Demander que les croyants soient libres de défendre leur foi, c'est demander aussi que les non-croyants puissent dire ce qu'ils pensent. Ils peuvent critiquer le christianisme, l'islam, tout ce que vous voulez, dans le corps social.

C'est une liberté qui doit être protégée – croire ou ne pas croire – défendre sa foi ou critiquer la foi. Ce sont des garanties nécessaires. Mais la cérémonie d'ouverture des Jeux était autre chose – c'était une cérémonie représentant la République française, et au nom du principe de neutralité, ils auraient dû veiller à respecter chaque personne dans ce contexte.

Qu'avez-vous aimé dans les Jeux ?

En dehors de cet épisode malheureux de la Cérémonie d'ouverture, globalement cet événement présente bien des aspects créatifs réussis, et les Jeux olympiques, d'après les échos que j'ai dans les médias, semblent assez réussis. En tant que français, on est fiers que les Jeux se déroulent bien. À Paris, beaucoup de sites sportifs très bien agencés ont été insérés parmi les monuments historiques de la ville. C'est très beau et c'est assez remarquable. C'est une machine bien huilée. Je crois que nous pouvons être fiers que la première semaine des Jeux a été une réussite pour la France.

Il y a une certaine fierté parmi nous, et un engouement derrière Léon Marchand et le judoka Teddy Riner. [Marchand a remporté quatre médailles d'or individuelles et une médaille de bronze en relais, et Riner a gagné des médailles d'or en judo individuel et par équipe.] On a fait une belle première semaine !

Et puis, tous les acteurs et parties prenantes d'Ensemble2024 sont plutôt reconnaissants pour tout ce qui se vit, les contacts, les expressions de l'Évangile qui progresse à la faveur de ces jeux, et nous espérons, au-delà.

Traduit par Jonathan Hanley

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