Le pasteur Eugene Peterson, aujourd’hui décédé, écrivait dans une lettre à son fils, lui aussi pasteur, que le principal problème pour le responsable chrétien est d’assumer la responsabilité non seulement des objectifs, mais aussi des « voies et moyens » par lesquels nous guidons les gens dans la poursuite de ces objectifs. « Les trois tentations du Diable à l’encontre de Jésus avaient toutes trait aux moyens et aux méthodes », écrit-il. « Tous les buts proposés par le Diable étaient excellents. La “vision” promue par le Diable était insurpassable. Mais les moyens étaient incompatibles avec les objectifs. »

Comme le dit Peterson, le discipulat auquel Jésus nous appelle est un discipulat « à la fois personnel et collectif, dans lequel l’intérieur et l’extérieur sont vécus en continuité. Une vie dans laquelle nous sommes aussi attentifs au comment qu’au quoi. »

En effet, selon Peterson, « si nous voulons vivre la vie de Jésus, nous devons simplement le faire à la manière de Jésus — qui est, après tout, le Chemin, la Vérité et la Vie. » Il n’y a pas d’échappatoire au chemin de la Croix.

Ce qui semble populaire à l’heure actuelle n’est pas tant un Évangile de la prospérité qu’un Évangile de la dépravation. Dans cet Évangile de la dépravation, les appels à la vertu ou aux normes morales ne sont pas rejetés par une prétention à l’innocence, mais par un souci de « réalisme ».

Cet Évangile de la dépravation tente de nous égarer. Peu importe que vous y entriez de plain-pied en jouissant de sa cruauté et de sa vulgarité, ou qu’il vous conduise simplement à un cynisme qui désespère de rien trouver de mieux.

C’est sur ce chemin qu’est tapi le nihilisme. Nous nous retrouvons tous dans des situations, et peut-être y êtes-vous actuellement, où nous avons la responsabilité de demander des comptes à une institution. Peut-être est-ce simplement en tant qu’électeur. Nous pourrions nous contenter de hausser les épaules et donner notre assentiment à toute personne que notre parti nous demande de soutenir. Cela nous changera au fil du temps. Peut-être est-ce aussi en tant que membre d’une Église, d’une dénomination ou d’un ministère chrétien.

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Ne confondons pas la présence d’un don avec celle d’un juste caractère, que ce soit chez nous ou chez un autre. Il ne faut pas s’attendre à ce que nos responsables soient sans péché. Ils pécheront, mais il y a une différence entre un être humain pécheur et repentant et un archétype de corruption. Face au second cas, comment sommes-nous appelés à agir ? Faut-il rester et chercher à changer les choses ? Ou faut-il partir et trouver un nouvel endroit où vivre et servir ? Je ne sais pas. Cela dépend en grande partie de facteurs qui nous échappent souvent. Il me semble alors intéressant de s’interroger sur ses propres vulnérabilités.

Êtes-vous le genre de personne qui, par défaut, a tendance à s’en aller ? Si c’est le cas, examinez bien toutes les raisons de rester et de travailler au changement avant de partir. Êtes-vous le genre de personne qui a tendance à s’adapter à une situation, par obligation, par loyauté ou par nostalgie ? Si c’est le cas, envisagez sérieusement de partir.

Il est important que nos institutions rendent des comptes. Elles nous forment à ce que nous considérons comme « normal ». Lorsque des comportements repoussants commencent à vous paraître normaux, vous n’êtes pas le seul à être en danger.

La conscience n’est pas qu’une petite voix qui nous souffle : « Fais ce qui est juste. » La conscience est un mode de connaissance, au même titre que la raison, l’imagination et l’intuition. Elle est profondément ancrée dans le psychisme humain.

La conscience nous rend sensibles au fait que nous vivons dans un cosmos moralement structuré et que nos vies s’inscrivent dans une histoire qui nous conduit vers un jour où nous devrons rendre des comptes (Rm 2.15-16), faire face au jugement de celui qui, pour nous, a fait face à son propre jugement (Jn 19.13).

La conscience de cette réalité nous équipe d’une vision à long terme de l’univers et de notre propre vie. Dans une perspective à court terme (disons une centaine d’années), quelqu’un pourrait aisément choisir de se laisser conduire par l’ambition. Comme l’observent le psalmiste et Job, on pourrait conclure que les brutes prospèrent et que, par conséquent, la voie de la prospérité passe par la brutalité. La conscience, lorsqu’elle fonctionne bien, élargit notre horizon vers le jour où nous devrons rendre des comptes et où notre vie commencera vraiment.

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Cela débute par le fait d’être plutôt que de faire. C’est précisément ce que des mouvements évangéliques de toutes sortes soulignent. « En effet, c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est pas par les œuvres, afin que personne ne puisse se vanter. » (Ep 2.8-9) Ces mots sont immédiatement suivis par ceci : « En réalité, c’est lui qui nous a faits ; nous avons été créés en Jésus-Christ pour des œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance afin que nous les pratiquions. » (v. 10)

La conduite est importante, mais la conduite est enracinée dans la vie, et non l’inverse. Si vous êtes en Christ, vos péchés sont pardonnés. Vous êtes crucifiés avec le Christ et ressuscités avec lui. Il n’y a rien à gagner. C’est pour cela que, dans ses meilleurs moments, le christianisme évangélique a mis l’accent sur la moralité — ou, dans un langage plus biblique, sur la sanctification — en tant que résultat de ce que nous sommes déjà en Christ, et non en tant que moyen de gagner la faveur de Dieu.

Cette moralité s’oppose donc au moralisme ou au légalisme. Comme l’a dit Martin Luther, « Nous ne devenons pas justes en accomplissant des actes justes, mais, ayant été rendus justes, nous accomplissons des actes justes. »

Ce qui est moral doit être défini en dehors de la personne et de la situation. La Croix est un jugement définitif contre un péché objectivement défini. Il en va de même pour l’enfer. Le péché n’est pas seulement lié à ce que vous faites (bien que cela en fasse certainement partie), mais aussi au type de personne que vous devenez. Nous avons des fragilités différentes, c’est pour cela que nous devons porter les fardeaux les uns des autres. Prêtez attention à ces points faibles dans votre propre vie. Quelle est l’ambition qui vous anime ? Quelles sont les personnes dont vous recherchez l’approbation ?

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Une conscience dysfonctionnelle se laisse guider par les priorités de l’ambition, de la sécurité et de l’appartenance au groupe. C’est ainsi que Ponce Pilate a fini par crucifier Jésus. Cela ne s’est pas produit parce qu’il complotait lui-même pour faire tuer ce Messie, mais parce qu’il voulait « satisfaire la foule » (Mc 15.15). Pilate, écrit Matthieu, « voyant qu’il ne gagnait rien mais que le tumulte augmentait », s’en lava les mains (Mt 27.24). C’est ainsi que les choses se passent. Pour Pilate, l’enjeu était de savoir ce qu’il gagnait ou perdait — à ce moment-là ou dans l’ensemble de sa vie. Il définissait sa mission en termes d’ambition et de sécurité plutôt qu’en termes de conscience. C’est ainsi que sa conscience s’est adaptée à son ambition, et non l’inverse.

La même chose peut vous arriver, que vous travailliez au rayon fruits et légumes d’une épicerie, dans un cabinet comptable, dans une guilde de scénaristes ou en tant que missionnaire. Il sera toujours tentant de faire taire notre conscience parce que l’on craint ce qu’elle pourrait nous demander. Ce chemin nous conduira au désastre.

Le problème n’est pas que vous vous retrouverez à agir d’une manière que vous n’avez jamais voulue, mais plutôt que vous ne remarquerez pas du tout la manière dont vous agissez. Vous ne verrez même pas que vous courez après l’approbation de n’importe quelle foule à laquelle vous voulez appartenir, de n’importe quel objectif que vous voulez atteindre. Ce n’est qu’une fois qu’il est trop tard que l’on s’aperçoit que l’on ne se reconnaît plus.

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Cet appétit de voir nos ambitions se concrétiser et de préserver notre appartenance à notre groupe ne conduira pas à une absence de conscience, mais à une conscience mal orientée, une conscience qui éprouve de la honte pour ce qui n’est pas honteux et qui ne ressent rien pour ce qui l’est. La formation du caractère se fait également de l’intérieur. Jésus a dit : « L’homme bon tire de bonnes choses du bon trésor de son cœur, et celui qui est mauvais tire de mauvaises choses du mauvais [trésor de son cœur]. En effet, sa bouche exprime ce dont son cœur est plein. » (Lc 6.45)

Une saine conscience ne conduit pas, comme on l’imagine, à la tranquillité intérieure, du moins pas tout de suite. Une conscience saine est une conscience vivante — et donc frémissante d’incitations à la repentance et au changement de voie et d’appels à la miséricorde. Mais, à long terme, une conscience saine mène à la paix, car elle chasse la peur.

Si votre ambition régit votre vie, vous serez esclave de tout ce qui pourrait vous priver de cette ambition. Si votre appartenance à votre groupe régit votre vie, vous serez terrifié par tout ce qui pourrait vous menacer d’éloignement. Mais si votre mission est alignée sur votre conscience et que votre conscience est alignée sur l’Évangile, vous serez libéré de ces peurs paralysantes et pourrez vivre autre chose qu’une vie orientée par votre seule préservation.

C’est pour cela que Jésus dit à ses disciples : « N’ayez donc pas peur d’eux, car il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour ; et ce qui vous est dit à l’oreille, proclamez-le sur les toits. » (Mt 10.26-27)

Si nous savons que le jour du jugement viendra, nul besoin de convoquer notre propre jugement aujourd’hui. Et si quelqu’un vous demande quelque chose au prix de votre intégrité, sachez que ce prix est trop élevé.

Russell Moore est le rédacteur en chef de CT. Extrait de Losing Our Religion : An Altar Call for Evangelical America, par Russell Moore. Copyright © 2023, en accord avec Sentinel, une marque de Penguin Random House LLC.

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Losing Our Religion: An Altar Call for Evangelical America
Losing Our Religion: An Altar Call for Evangelical America
Sentinel
2023-07-25
272 pp., 18.69
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