En général, les chrétiens évangéliques américains ont une conception conservatrice des Écritures et de la morale. Toutefois, s’agissant de leurs affirmations les plus fondamentales sur Dieu, le théologien Matthew Barrett constate qu'elles sont souvent remarquablement révisionnistes.

Barrett, professeur au Séminaire Théologique Baptiste du Midwest et rédacteur en chef du magazine Credo, est l'auteur de Simply Trinity : The Unmanipulated Father, Son, and Spirit (« La Trinité tout simplement : le Père, le Fils et l’Esprit non-manipulés »). Ce livre, qui fait suite à un ouvrage de 2019 intitulé None Greater : The Undomesticated Attributes of God (« Nul n’est plus grand : les attributs non domestiqués de Dieu »), fait deux choses. Premièrement, il montre comment une bonne partie de la théologie évangélique sur la Trinité s'est éloignée de la tradition chrétienne classique. Ensuite, il recrute une équipe de choc d’enseignants issus de cette tradition pour ramener les lecteurs au bon port de l'orthodoxie biblique. Le ton est accessible, mais la matière est profonde.

Comment le protestantisme évangélique a-t-il fait fausse route dans sa compréhension de la Trinité ? Barrett couvre un large éventail, mais il se concentre sur le développement, dans la théologie récente, de ce qu'il appelle le « trinitarisme social » (social trinitarianism). Les partisans de cette approche, qui constitue davantage une position partagée qu'une école monolithique, ont tendance à concevoir l'unicité de Dieu comme une communauté de personnes. Barrett présente certaines des figures majeures de ce courant, notamment des théologiens libéraux comme Jürgen Moltmann et Leonardo Boff et leurs homologues conservateurs américains tels que Wayne Grudem et Bruce Ware.

La particularité du trinitarisme social est sa volonté de se servir des relations entre les personnes de la Trinité comme modèle pour divers projets sociaux. Pour des libéraux comme Moltmann et Boff, cela peut impliquer d’invoquer le statut égal du Père, du Fils et de l'Esprit pour promouvoir une vision égalitaire de la société. Des conservateurs comme Grudem et Ware mettent parfois avant des supposées hiérarchies au sein de la Trinité – notamment ce qu'ils appellent la « soumission éternelle » du Fils au Père – pour justifier leur vision complémentarienne de l'homme et de la femme. (De nombreux complémentariens ne sont pas d'accord. Liam Goligher, pasteur presbytérien, a tiré la sonnette d'alarme il y a plusieurs années dans un article de blog viral accusant Grudem et Ware de saper l'unité qui existe entre le Père, le Fils et l'Esprit). Simply Trinity propose une analyse approfondie de la manière dont les tendances révisionnistes de la théologie trinitaire se sont installées dans le monde a priori conservateur de l'évangélisme américain.

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Comment revenir en arrière ? Dans la deuxième partie de son livre, Barrett renoue avec les enseignements trinitaires classiques, abordant la relation entre l'éternité et l'histoire tout en affirmant l'unicité et la simplicité de Dieu. Les doctrines qu'il aborde – la « génération éternelle » du Fils, la « procession éternelle » de l'Esprit et les « opérations inséparables » du Dieu trinitaire – peuvent sembler plutôt sophistiquées, mais Barrett les explique avec simplicité et clarté.

Au milieu de ces chapitres, Barrett consacre également un chapitre entier à examiner l'affirmation de Grudem, Ware et d’autres selon laquelle le Fils est « éternellement subordonné » au Père. Il montre à juste titre que les rapports d’origine entre le Père, le Fils et l'Esprit affectent profondément notre compréhension du salut.

Le livre n'est pas parfait. Barrett ne va pas toujours assez loin dans l'analyse des causes profondes du révisionnisme actuel ou des mérites des conceptions chrétiennes classiques de la Trinité. Il ne parvient pas non plus à situer le travail de réflexion trinitaire dans le cadre de questions plus larges de formation spirituelle chrétienne, ce qui limite l'intérêt du livre à des problématiques de débat intellectuel et d'interprétation biblique.

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Cela ne correspond pas tout à fait à la méthode de la pensée chrétienne classique. Prenez par exemple Grégoire de Nazianze, père de l'Église du quatrième siècle. Dans ses Discours théologiques, il aborde certes des passages de la Bible concernant le Père, le Fils et l'Esprit, mais seulement après avoir réfléchi à la préparation spirituelle nécessaire à une discussion trinitaire.

Dans ses Confessions, Augustin démontre que Dieu, tel qu'il est caractérisé par l'Écriture, n'est pas un personnage comme les autres. Mais les trinitarismes sociaux, de gauche ou de droite, ont tendance à commettre l'erreur d'établir de fausses analogies entre Dieu et d’autres personnes. Si nous ne faisons pas face à cette maladie fondamentale, nous continuerons de voir apparaître de temps en temps les symptômes de l’erreur théologique.

Quoi qu’il en soit, Simply Trinity parvient dans une large mesure à identifier certaines de ces tendances néfastes et à les écarter. Pour quiconque a lu des articles de blog déconcertants sur la Trinité ces dernières années, ce livre vous aidera à retrouver vos repères théologiques. Et pour quiconque cherche à redécouvrir les richesses de l'adoration d'un Dieu unique en trois personnes, Barrett se révélera un guide plus que compétent.

Michael Allen est professeur de théologie systématique John Dyer Trimble au Séminaire théologique réformé d'Orlando, en Floride. Il est co-éditeur du Oxford Handbook of Reformed Theology.

Traduit par Simon Fournier

Révisé par Léo Lehmann

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